L'instauration de l'Etat d'Urgence en France...
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L'instauration de l'Etat d'Urgence en France...
L'instauration de l'Etat d'Urgence en France...
Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie,
l’état d’urgence a été décrété sur l’ensemble du territoire.
Cela n’est guère fréquent, dans la vie d’une démocratie, que, d’un coup,
on bascule ainsi dans un autre mode de gestion au jour le jour...
~ Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relatif à l'état d'urgence (Version consolidée au 16 novembre 2015)(LégiFrance) ~
~ État d’urgence décrété : vers un coup d’État silencieux ? (Nicolas Bourgoin)(Novembre 2015) ~
~ À qui la faute ? (Le Grand Soir)(Novembre 2015) ~
~ Le communiqué de l’Elysée que vous ne lirez pas (Viktor DEDAJ, LGS)(Novembre 2015) ~
Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie,
l’état d’urgence a été décrété sur l’ensemble du territoire.
Cela n’est guère fréquent, dans la vie d’une démocratie, que, d’un coup,
on bascule ainsi dans un autre mode de gestion au jour le jour...
~ Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relatif à l'état d'urgence (Version consolidée au 16 novembre 2015)(LégiFrance) ~
En effet, et même si l’ensemble de la presse et des politiciens semble avoir pris la nouvelle avec un stoïcisme tangentiel à l’abrutissement, l’état d’urgence peut impliquer la possibilité de restreindre la circulation des personnes et des véhicules dans des lieux et à des horaires déterminés (ce qui laisse la possibilité aux préfets d’instaurer un couvre-feu dans les secteurs exposés à des risques importants de trouble à l’ordre public), de restreindre l’accès à certains lieux, certains bâtiments (publics ou privés), d’interdire de séjour certains individus, de renforcer le contrôle aux frontières, de réquisitionner biens et personnes pour le maintien de l’ordre public. Cela peut aussi signifier l’interdiction de manifestations, des restrictions pour la presse et les médias en général voire leur prise de contrôle, bref, un cortège de mesures qui ne sentent pas forcément très bon la liberté. Ces derniers éléments sont d’ailleurs soigneusement passés sous silence par le ministre de l’Intérieur lorsqu’il rappelle de quoi il retourne avec cet état d’urgence : il évoque bien les nouvelles prérogatives des préfets, mais on n’entendra pas parler des autres aspects (article 11 notamment) de cet état.
Certes, après tout, rien n’indique pour le moment que ces dernières restrictions seront appliquées, et Cazeneuve n’avait donc pas besoin de les évoquer.On peut même espérer qu’il n’en aura jamais besoin. Mais il reste indispensable de conserver à l’esprit que c’est parfaitement possible et même prévu dans la loi. Ceci n’affranchit pas de se poser la question de l’utilité de ce décret sur le plan sécuritaire.
Certes, après tout, rien n’indique pour le moment que ces dernières restrictions seront appliquées, et Cazeneuve n’avait donc pas besoin de les évoquer.
Nicolas Bourgoin a écrit:(...) Force est de constater que la plupart des lois liberticides promulguées depuis trois ans se sont révélées inefficaces pour éradiquer la menace terroriste car elles ciblent avant tout la contestation politique. C’est ce que nous prévoyions au moment du vote de la loi antiterroriste de l’automne 2014 et de la loi sur le renseignement de mai dernier. Parfaites pour mettre à mal la démocratie et les libertés publiques mais totalement inopérantes face au risque djihadiste.
Devant un tel fiasco, une question vient inévitablement : à qui profite le crime ? Et la réponse ne fait guère de doute : au système de domination qui ne pourra que sortir renforcé de cette nouvelle union sacrée belliqueuse et islamophobe. (...)
En effet, comme le rappelle Baptiste Créteur, les attaques terroristes de vendredi dernier ont eu lieu un an après la loi du 13.11.2014 renforçant les dispositions de lutte contre le terrorisme, alors que le pays est déjà sous tension, contrôles aux frontières réinstauré (COP21 oblige) et plan Vigipirate toujours en place. Ironie cynique des terroristes qui montrent par là toute l’impuissance des pouvoirs publics à protéger qui que ce soit avant l’état d’urgence et, par voie de conséquence, à les protéger aussi après, les mesures prises ne changeant qu’à la marge les dispositifs existants. De ce point de vue, chaque minute qui passe fait ressembler un peu plus cet état d’urgence à de la pure gesticulation politicienne. En revanche, du point de vue tactique politique, il en va autrement.
Si on se rappelle des magnifiques faits d’armes précédents de nos gouvernants, cet état d’urgence ressemble bel et bien à un outil dégoté dans la panoplie playskool du petit président, et risque fort d’être comme un couteau pour une poule, bidule inutile dont l’équipe en place ne saura trop quoi faire mais qu’elle aura invoqué histoire de montrer qu’elle fait quelque chose, en fanfare. En revanche, si on se rappelle que Hollande et Valls ont probablement un minimum de suite dans les idées, de ces suites qui leur permettent notamment de conserver le pouvoir à tout prix et réduire au silence leurs opposants et leurs ennemis politiques, l’instauration de l’état d’urgence n’est plus du tout fortuit. Il devient même fort commode.
~ Attentats de Paris : une union politique déjà fragilisée (Le JDD)(Novembre 2015) ~Si on se rappelle des magnifiques faits d’armes précédents de nos gouvernants, cet état d’urgence ressemble bel et bien à un outil dégoté dans la panoplie playskool du petit président, et risque fort d’être comme un couteau pour une poule, bidule inutile dont l’équipe en place ne saura trop quoi faire mais qu’elle aura invoqué histoire de montrer qu’elle fait quelque chose, en fanfare. En revanche, si on se rappelle que Hollande et Valls ont probablement un minimum de suite dans les idées, de ces suites qui leur permettent notamment de conserver le pouvoir à tout prix et réduire au silence leurs opposants et leurs ennemis politiques, l’instauration de l’état d’urgence n’est plus du tout fortuit. Il devient même fort commode.
Le JDD avec AFP a écrit:
(...) Après les attentats, l'unité politique en balance. François Hollande a appelé samedi les Français au "rassemblement" mais déjà, au sein de la classe politique, les premières critiques se sont faites entendre. Elles sont venues notamment de Nicolas Sarkozy, qui a pris la parole peu après le chef de l'Etat. Le patron du parti Les Républicains, qui sera reçu par François Hollande dimanche à 10h, a exigé des "inflexions majeures" pour que "la sécurité des Français soit pleinement assurée". "Nous soutiendrons toutes les décisions qui iront dans le sens d'un renforcement drastique des mesures de sécurité qui permettront de protéger la vie de nos compatriotes", a-t-il ajouté, dans un soutien en forme d'injonction.
La réponse à l'ex-Président est venue du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis qui, s'il a remercié "le président Nicolas Sarkozy" pour "son concours" à l'unité nationale, l'a aussi mis en garde contre tout débordement, appelant l'ensemble des dirigeants politiques, à "l'esprit de concorde" et à la "mesure". (...)
Jacques-François Bonaldi a écrit:
(...) L’État islamique a « fleuri » sur le fumier entassé en Syrie par l’OTAN, en tout premier lieu, par la France et son soi-disant « tranquille » président, François Hollande, le principal boutefeu occidental, le plus fanatique va-t-en-guerre, celui qui a fait (et qui fait toujours) du renversement de Bachir el-Assad une question quasiment personnelle, tout autant son prédécesseur Sarkozy avec Kadhafi en Libye. Lui au moins avait des prétextes, guère avouables certes. Mais quels sont les motifs censément plus avouables de Hollande ? Les a-t-il jamais énoncés ? Pour quelles raisons lui et l’OTAN sont-ils allés fomenter de l’extérieur ce que la presse bien-pensante appelle maintenant une « guerre civile » ou, tout simplement, une « crise », et qu’un peu de bon sens permet de qualifier plus justement de « guerre importée » ? (...) Parce qu’apparemment les deux cent mille victimes à ce jour des cinq ans de guerre de l’OTAN et de la France contre la Syrie ne suffisent pas à faire prendre conscience aux Français que leur gouvernement fait absolument fausse route. Même pas quand les survivants déferlent en masse sur les côtes européens pour fuir l’horreur, l’effroi, la barbarie dont ils sont victimes ! Celles-ci sont des victimes « interlopes », comme dirait Brassens, des « métèques », qui, apparemment, ne pèsent pas, sur la balance de la vie, autant que les victimes parisiennes. Comme toujours, il faut que les victimes soient européennes ou vivent dans le Premier monde pour que l’horreur éclate aux yeux de tous ! (...)
À tel point que Manuel Valls, malin, en voudrait bien encore un peu plus : comme il y aura d’autres attentats, ce serait assez logique de continuer sur notre lancée, n’est-ce pas. « Parce que nous sommes en guerre nous prenons des mesures exceptionnelles. Nous devons anéantir les ennemis de la République, expulser tous ces imams radicaux, déchoir de la nationalité ceux qui bafouent l’âme de la France. Je prédis un conflit qui durera des mois, peut-être des années ». Bon, il n’y a pas à dire, même si ça vend peu de rêve et plutôt du sang et des larmes, on est assez loin des discours churchilliens. Le fond est sans ambiguïté cependant : le Manuel du gouvernement ne compte pas lâcher l’état d’urgence trop vite, et ça ne semble défriser personne.
Accessoirement, on ne peut s’empêcher de noter le timing, diabolique, de cette incursion rapide dans le mode minimal de la démocratie française. Nous sommes effectivement en plein milieu d’une situation économique pourrie ; le passage en mode « full metal jacket » de Hollande permettra sans mal de détourner un peu l’attention, et on peut même parier sur une hausse, temporaire mais sensible, de sa cote de popularité (ou disons de la baisse de son impopularité, pour être plus exact), et de même pour Valls. Voilà qui renouvelle un peu le paysage médiatique et atténuera les soucis évidents de la COP21 (dont le succès semble « quelque peu compromis ») ou ceux des prochaines élections régionales (dont le succès semble « quelque peu compromis » aussi). Et pendant qu’on va batailler ISIS, Daech ou n’importe quel autre acronyme à coup de conférences de presse de plusieurs kilotonnes et de décrets à sous-munitions, on mobilise la presse sur autre chose que sur la situation économique catastrophique du pays et son chômage qui continue de grimper, malgré les artifices statistiques.
Dès lors, on se doit de noter la facilité à déclencher l’unanimité, pardon l’unité réclamée et obtenue par nos dirigeants et l’ensemble des partis politiques. Certes, l’ampleur de l’attentat justifie que les polémiques politiciennes se taisent et que les campagnes électorales soient mises en sourdine. En revanche, c’est maintenant le dernier moment d’abdiquer de sa capacité de réflexion et de prise de recul. On peut aisément comprendre que, poussé par la nécessité d’attraper les terroristes en fuite, des mesures exceptionnelles contraignantes soient rapidement mises en œuvre dans le pays. On admettra éventuellement que cette situation puisse durer quelques jours, les péripéties de la traque et des enquêtes nécessitant probablement ce genre de délai. Au-delà, cependant, on peine à voir l’intérêt de perdurer dans cette situation. C’est d’ailleurs le sens des 12 jours définis dans la loi avant l’obligation d’un passage par le parlement. Or, nous n’avons pas encore passé une poignée de jours que Valls envisage déjà d’étendre le délai.
Accessoirement, on ne peut s’empêcher de noter le timing, diabolique, de cette incursion rapide dans le mode minimal de la démocratie française. Nous sommes effectivement en plein milieu d’une situation économique pourrie ; le passage en mode « full metal jacket » de Hollande permettra sans mal de détourner un peu l’attention, et on peut même parier sur une hausse, temporaire mais sensible, de sa cote de popularité (ou disons de la baisse de son impopularité, pour être plus exact), et de même pour Valls. Voilà qui renouvelle un peu le paysage médiatique et atténuera les soucis évidents de la COP21 (dont le succès semble « quelque peu compromis ») ou ceux des prochaines élections régionales (dont le succès semble « quelque peu compromis » aussi). Et pendant qu’on va batailler ISIS, Daech ou n’importe quel autre acronyme à coup de conférences de presse de plusieurs kilotonnes et de décrets à sous-munitions, on mobilise la presse sur autre chose que sur la situation économique catastrophique du pays et son chômage qui continue de grimper, malgré les artifices statistiques.
Dès lors, on se doit de noter la facilité à déclencher l’unanimité, pardon l’unité réclamée et obtenue par nos dirigeants et l’ensemble des partis politiques. Certes, l’ampleur de l’attentat justifie que les polémiques politiciennes se taisent et que les campagnes électorales soient mises en sourdine. En revanche, c’est maintenant le dernier moment d’abdiquer de sa capacité de réflexion et de prise de recul. On peut aisément comprendre que, poussé par la nécessité d’attraper les terroristes en fuite, des mesures exceptionnelles contraignantes soient rapidement mises en œuvre dans le pays. On admettra éventuellement que cette situation puisse durer quelques jours, les péripéties de la traque et des enquêtes nécessitant probablement ce genre de délai. Au-delà, cependant, on peine à voir l’intérêt de perdurer dans cette situation. C’est d’ailleurs le sens des 12 jours définis dans la loi avant l’obligation d’un passage par le parlement. Or, nous n’avons pas encore passé une poignée de jours que Valls envisage déjà d’étendre le délai.
~ Le communiqué de l’Elysée que vous ne lirez pas (Viktor DEDAJ, LGS)(Novembre 2015) ~
Même si, d’aventure, cet état d’urgence ne devait pas être reconduit, le seul fait que le Premier ministre réclame dès à présent, si tôt, une telle extension est particulièrement préoccupant. Cela l’est d’autant plus qu’à l’heure actuelle, je ne suis pas du tout certain qu’il se trouverait une opposition dotée d’une colonne vertébrale complète et correctement solidifiée pour s’y opposer le 26 novembre. Tout indique même que les actuels yaourts à 0% de matière grise qui émargent chez les Républicains signeraient des deux mains ce genre de cascade politique pour bien montrer à quel point eux aussi ont un zizi suffisamment poilu pour en remontrer aux vilains terroristes. Bref : la situation prend une tournure franchement nauséabonde, et absolument rien n’indique que la presse ou les politiciens s’en rendent bien compte ou, plus effarant encore, n’appellent pas carrément cette dégradation de leurs vœux.
Pourtant, on vient de donner (ou plus exactement, ils se sont donnés) un maximum de pouvoir à des gens qui n’ont jusqu’à présent brillé que par leur extraordinaire capacité à faire à peu près n’importe quoi, n’importe comment, et qui ont même largement prouvé leur agressivité extérieure et leur mollesse intérieure. Un grand pouvoir donné à des irresponsables ? Forcément, ça va bien se passer.
Hashtable
Source de l'article : État d’urgence : jusqu’où aller trop loin ? (Hashtable)(Novembre 2015)Pourtant, on vient de donner (ou plus exactement, ils se sont donnés) un maximum de pouvoir à des gens qui n’ont jusqu’à présent brillé que par leur extraordinaire capacité à faire à peu près n’importe quoi, n’importe comment, et qui ont même largement prouvé leur agressivité extérieure et leur mollesse intérieure. Un grand pouvoir donné à des irresponsables ? Forcément, ça va bien se passer.
Hashtable
« De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité »
« De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité »
Pour le philosophe italien Giorgio Agamben,
l’état d’urgence n’est pas un bouclier qui protège la démocratie.
Il a, au contraire, selon lui, toujours accompagné les dictatures...
~ Perquisitions musclées, arrestations injustifiées... (Les Décodeurs, Le Monde via Les Crises.fr)(Décembre 2015) ~
~ Etat d’urgence : les fossoyeurs de la République (Le Blog de Sayed Hasan)(Décembre 2015) ~
Entretenir la peur...
~ A Virus Called Fear (Chaîne YT de Ben Fama Jr.)(Mai 2012) ~
Aucun sens juridique...
~ Les Atteintes aux Droits Fondamentaux par l'Etat de Siège et l'Etat d'Urgence (Gilles Lebreton, pdf)(Juillet 2007) ~
Incertitude et terreur...
~ Et si l’« état d’urgence » devenait permanent ? (Le Grand Soir)(Décembre 2015) ~
~ Face aux crises graves, « les gouvernements légalisent les dispositifs d’exception » (Le Monde)(Décembre 2015) ~
Dépolitisation des citoyens...
Giorgio Agamben : « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité » (Le Monde)(Décembre 2015) via Les Crises.fr (Olivier Berruyer)
Pour le philosophe italien Giorgio Agamben,
l’état d’urgence n’est pas un bouclier qui protège la démocratie.
Il a, au contraire, selon lui, toujours accompagné les dictatures...
~ Perquisitions musclées, arrestations injustifiées... (Les Décodeurs, Le Monde via Les Crises.fr)(Décembre 2015) ~
On ne comprend pas l’enjeu véritable de la prolongation de l’état d’urgence (jusqu’à la fin février) en France, si on ne le situe pas dans le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie. Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés en Europe. Ainsi, dans les années qui ont précédé la prise du pouvoir par Hitler, les gouvernements sociaux-démocrates de Weimar avaient eu si souvent recours à l’état d’urgence (état d’exception, comme on le nomme en allemand), qu’on a pu dire que l’Allemagne avait déjà cessé, avant 1933, d’être une démocratie parlementaire.
Or le premier acte d’Hitler, après sa nomination, a été de proclamer un état d’urgence, qui n’a jamais été révoqué. Lorsqu’on s’étonne des crimes qui ont pu être commis impunément en Allemagne par les nazis, on oublie que ces actes étaient parfaitement légaux, car le pays était soumis à l’état d’exception et que les libertés individuelles étaient suspendues. On ne voit pas pourquoi un pareil scénario ne pourrait pas se répéter en France : on imagine sans difficulté un gouvernement d’extrême droite se servir à ses fins d’un état d’urgence auquel les gouvernements socialistes ont désormais habitué les citoyens. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.
Or le premier acte d’Hitler, après sa nomination, a été de proclamer un état d’urgence, qui n’a jamais été révoqué. Lorsqu’on s’étonne des crimes qui ont pu être commis impunément en Allemagne par les nazis, on oublie que ces actes étaient parfaitement légaux, car le pays était soumis à l’état d’exception et que les libertés individuelles étaient suspendues. On ne voit pas pourquoi un pareil scénario ne pourrait pas se répéter en France : on imagine sans difficulté un gouvernement d’extrême droite se servir à ses fins d’un état d’urgence auquel les gouvernements socialistes ont désormais habitué les citoyens. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.
Salah Lamrani a écrit:
(...) Si terrible soit-elle, la perspective d’un attentat terroriste reste celle d’un acte criminel perpétré par des particuliers, des forcenés, des fanatiques, qui détruisent effectivement des vies humaines de manière atroce, mais constituent une violence qui garde le statut d’accident au sein d’une société, par opposition à une dérive structurelle. De tels actes ne sont pas commis par des représentants de l’Etat, par la force publique, et sont à ce titre assimilables à des actes de grand banditisme, avec leur lot de victimes innocentes, certes collatérales, ce qui ne change pas fondamentalement les choses. Le terrorisme ou le banditisme sont le fait d’individus qui se placent au-delà de toute légalité et peuvent attenter à la vie de tout citoyen, mais en aucun cas menacer la société dans son ensemble ou dans ses fondements : bien que les criminels s’en affranchissent de fait et le bafouent, le droit n’en subsiste pas moins pour le reste des citoyens et l’ensemble de la société. Mais lorsque l’appareil étatique, qui, selon la fameuse définition de Max Weber, détient « le monopole de la violence légitime », abolit lui-même l’Etat de droit et se rend coupable de telles atteintes aux personnes, quels qu’en soit la raison ou plutôt le prétexte, donnant à la violence arbitraire et illégitime force de loi, ce sont les fondements même de la société démocratique qui sont mis à mal. L’Etat, qui n’a été constitué que pour garantir la liberté, la sécurité et le bien-être des citoyens (et selon la tradition philosophique occidentale, la liberté en est le but suprême), devient l’instance même qui piétine les droits élémentaires de l’ensemble des citoyens, sans aucune résistance possible, sans aucune voie de recours, ce qui doit être considéré comme bien plus grave, bien plus dangereux que le 13 novembre, le 7 janvier ou même le 11 septembre. Quoi qu’en dise M. Cazeneuve, si le terrorisme peut effectivement menacer nos vies, seul l’Etat peut constituer une véritable menace pour nos libertés. (...)
Entretenir la peur...
Cela est d’autant plus vrai que l’état d’urgence s’inscrit, aujourd’hui, dans le processus qui est en train de faire évoluer les démocraties occidentales vers quelque chose qu’il faut, d’ores et déjà, appeler Etat de sécurité (« Security State », comme disent les politologues américains). Le mot « sécurité » est tellement entré dans le discours politique que l’on peut dire, sans crainte de se tromper, que les « raisons de sécurité » ont pris la place de ce qu’on appelait, autrefois, la « raison d’Etat ». Une analyse de cette nouvelle forme de gouvernement fait, cependant, défaut. Comme l’Etat de sécurité ne relève ni de l’Etat de droit ni de ce que Michel Foucault appelait les « sociétés de discipline », il convient de poser ici quelques jalons en vue d’une possible définition. Dans le modèle du Britannique Thomas Hobbes, qui a si profondément influencé notre philosophie politique, le contrat qui transfère les pouvoirs au souverain présuppose la peur réciproque et la guerre de tous contre tous : l’Etat est ce qui vient justement mettre fin à la peur. Dans l’Etat de sécurité, ce schéma se renverse : l’Etat se fonde durablement sur la peur et doit, à tout prix, l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa légitimité. Foucault avait déjà montré que, lorsque le mot « sécurité » apparaît pour la première fois en France dans le discours politique avec les gouvernements physiocrates avant la Révolution, il ne s’agissait pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser advenir pour pouvoir ensuite les gouverner et les orienter dans une direction qu’on estimait profitable.
~ A Virus Called Fear (Chaîne YT de Ben Fama Jr.)(Mai 2012) ~
Aucun sens juridique...
De même, la sécurité dont il est question aujourd’hui ne vise pas à prévenir les actes de terrorisme (ce qui est d’ailleurs extrêmement difficile, sinon impossible, puisque les mesures de sécurité ne sont efficaces qu’après coup, et que le terrorisme est, par définition, une série des premiers coups), mais à établir une nouvelle relation avec les hommes, qui est celle d’un contrôle généralisé et sans limites, d’où l’insistance particulière sur les dispositifs qui permettent le contrôle total des données informatiques et communicationnelles des citoyens, y compris le prélèvement intégral du contenu des ordinateurs. Le risque, le premier que nous relevons, est la dérive vers la création d’une relation systémique entre terrorisme et Etat de sécurité : si l’Etat a besoin de la peur pour se légitimer, il faut alors, à la limite, produire la terreur ou, au moins, ne pas empêcher qu’elle se produise. On voit ainsi les pays poursuivre une politique étrangère qui alimente le terrorisme qu’on doit combattre à l’intérieur et entretenir des relations cordiales et même vendre des armes à des Etats dont on sait qu’ils financent les organisations terroristes. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.
Un deuxième point, qu’il est important de saisir, est le changement du statut politique des citoyens et du peuple, qui était censé être le titulaire de la souveraineté. Dans l’Etat de sécurité, on voit se produire une tendance irrépressible vers ce qu’il faut bien appeler une dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la vie politique se réduit aux sondages électoraux. Cette tendance est d’autant plus inquiétante qu’elle avait été théorisée par les juristes nazis, qui définissent le peuple comme un élément essentiellement impolitique, dont l’Etat doit assurer la protection et la croissance. Or, selon ces juristes, il y a une seule façon de rendre politique cet élément impolitique : par l’égalité de souche et de race, qui va le distinguer de l’étranger et de l’ennemi. Il ne s’agit pas ici de confondre l’Etat nazi et l’Etat de sécurité contemporain : ce qu’il faut comprendre, c’est que, si on dépolitise les citoyens, ils ne peuvent sortir de leur passivité que si on les mobilise par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne, ce sont les musulmans en France aujourd’hui).
Un deuxième point, qu’il est important de saisir, est le changement du statut politique des citoyens et du peuple, qui était censé être le titulaire de la souveraineté. Dans l’Etat de sécurité, on voit se produire une tendance irrépressible vers ce qu’il faut bien appeler une dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la vie politique se réduit aux sondages électoraux. Cette tendance est d’autant plus inquiétante qu’elle avait été théorisée par les juristes nazis, qui définissent le peuple comme un élément essentiellement impolitique, dont l’Etat doit assurer la protection et la croissance. Or, selon ces juristes, il y a une seule façon de rendre politique cet élément impolitique : par l’égalité de souche et de race, qui va le distinguer de l’étranger et de l’ennemi. Il ne s’agit pas ici de confondre l’Etat nazi et l’Etat de sécurité contemporain : ce qu’il faut comprendre, c’est que, si on dépolitise les citoyens, ils ne peuvent sortir de leur passivité que si on les mobilise par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne, ce sont les musulmans en France aujourd’hui).
~ Les Atteintes aux Droits Fondamentaux par l'Etat de Siège et l'Etat d'Urgence (Gilles Lebreton, pdf)(Juillet 2007) ~
Incertitude et terreur...
C’est dans ce cadre qu’il faut considérer le sinistre projet de déchéance de la nationalité pour les citoyens binationaux, qui rappelle la loi fasciste de 1926 sur la dénationalisation des « citoyens indignes de la citoyenneté italienne » et les lois nazies sur la dénationalisation des juifs. Un troisième point, dont il ne faut pas sous-évaluer l’importance, est la transformation radicale des critères qui établissent la vérité et la certitude dans la sphère publique. Ce qui frappe avant tout un observateur attentif dans les comptes rendus des crimes terroristes, c’est le renoncement intégral à l’établissement de la certitude judiciaire.
Alors qu’il est entendu dans un Etat de droit qu’un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent, c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens, dont il doit assurer la protection, restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair.
C’est la même incertitude que l’on retrouve dans le texte de la loi du 20 novembre sur l’état d’urgence, qui se réfère à « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité ». Il est tout à fait évident que la formule « sérieuses raisons de penser » n’a aucun sens juridique et, en tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui qui « pense », peut s’appliquer à tout moment à n’importe qui. Or, dans l’Etat de sécurité, ces formules indéterminées, qui ont toujours été considérées par les juristes comme contraires au principe de la certitude du droit, deviennent la norme.
Alors qu’il est entendu dans un Etat de droit qu’un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent, c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens, dont il doit assurer la protection, restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair.
C’est la même incertitude que l’on retrouve dans le texte de la loi du 20 novembre sur l’état d’urgence, qui se réfère à « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité ». Il est tout à fait évident que la formule « sérieuses raisons de penser » n’a aucun sens juridique et, en tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui qui « pense », peut s’appliquer à tout moment à n’importe qui. Or, dans l’Etat de sécurité, ces formules indéterminées, qui ont toujours été considérées par les juristes comme contraires au principe de la certitude du droit, deviennent la norme.
Jean Ortiz a écrit:
(...) La descente aux enfers pourrait continuer si l’on demandait aux Français de « choisir » entre la sécurité et la limitation des droits, des libertés. Ce chantage s’avèrerait liberticide et légitimerait l’inacceptable. Or il pointe déjà son nez. La France se serait adressée au Conseil de l’Europe pour le prévenir qu’elle pourrait être amenée à ne pas respecter la Convention européenne des Droits de l’Homme. Que nous prépare-t-on au nom de la lutte anti-terroriste ? En 1956, Guy Mollet avait sollicité les pleins pouvoirs pour « faire la paix » en Algérie. Il y fit la guerre. François Hollande a répété lors de l’hommage de la nation aux victimes du 13 N., que « nos soldats » continueraient leurs missions... c’est-à-dire continueraient à bombarder en Syrie et ailleurs. A rajouter la mort à la mort, à sombrer dans une spirale sans fin. (...)
~ Face aux crises graves, « les gouvernements légalisent les dispositifs d’exception » (Le Monde)(Décembre 2015) ~
Dépolitisation des citoyens...
La même imprécision et les mêmes équivoques reviennent dans les déclarations des femmes et hommes politiques, selon lesquelles la France serait en guerre contre le terrorisme. Une guerre contre le terrorisme est une contradiction dans les termes, car l’état de guerre se définit précisément par la possibilité d’identifier de façon certaine l’ennemi qu’on doit combattre. Dans la perspective sécuritaire, l’ennemi doit, au contraire, rester dans le vague, pour que n’importe qui, à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, puisse être identifié en tant que tel. Maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit : voilà trois caractères de l’Etat de sécurité, qui ont de quoi troubler les esprits. Car cela signifie, d’une part, que l’Etat de sécurité dans lequel nous sommes en train de glisser fait le contraire de ce qu’il promet, puisque, si sécurité veut dire absence de souci (sine cura), il entretient, en revanche, la peur et la terreur. L’Etat de sécurité est, d’autre part, un Etat policier, car, par l’éclipse du pouvoir judiciaire, il généralise la marge discrétionnaire de la police qui, dans un état d’urgence devenu normal, agit de plus en plus en souverain.
Par la dépolitisation progressive du citoyen, devenu en quelque sorte un terroriste en puissance, l’État de sécurité sort enfin du domaine connu de la politique, pour se diriger vers une zone incertaine, où le public et le privé se confondent, et dont on a du mal à définir les frontières.
Giorgio Agamben
Source de l'article :Par la dépolitisation progressive du citoyen, devenu en quelque sorte un terroriste en puissance, l’État de sécurité sort enfin du domaine connu de la politique, pour se diriger vers une zone incertaine, où le public et le privé se confondent, et dont on a du mal à définir les frontières.
Giorgio Agamben
Giorgio Agamben : « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité » (Le Monde)(Décembre 2015) via Les Crises.fr (Olivier Berruyer)
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