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Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir

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Message  Silver Wisdom Lun 30 Avr - 14:52

Bonjour à tous,

Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir
par Thierry Meyssan

1958, la France de la IVe République s’enlise dans la guerre d’Algérie. La menace d’un nouveau Front populaire,
unissant les radicaux, les socialistes et les communistes en métropole, et la possible prise du pouvoir par le FLN
en Algérie, poussent les américains à intervenir. Suivant le plan d’une agence américaine, des réseaux d’influence largement constitués d’anciens collaborateurs et de militants d’extrême-droite organisent un putch militaire à Alger,
la chute de la République, et l’avènement du pouvoir personnel du général De Gaulle.


Le coup d’État du 13 mai 1958

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1958, voici quatre ans que l’Algérie est le théâtre d’une nouvelle guerre coloniale. Pour écraser le mouvement de libération nationale, les gouvernements de gauche ont fait appel au contingent. Quatre cent mille hommes ont été envoyés au combat dans le vain espoir de trouver une solution militaire à un problème politique. Après la défaite de Diên-Biên-Phu et la perte de l’Indochine, après l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, celle de l’Algérie paraît inévitable. L’opinion publique métropolitaine y est clairement favorable, mais aucun gouvernement ne dispose d’une majorité suffisante à la Chambre des députés pour la réaliser. Petit à petit, l’idée d’un nouveau Front populaire fait son chemin. L’alliance des radicaux, des socialistes et des communistes, au sein d’un même gouvernement,
garantirait la stabilité nécessaire pour mettre fin à la guerre.

À Washington, le Conseil national de sécurité (NSC, National Security Council ; le site de la Maison Blanche propose un historique du Conseil) anticipe avec inquiétude cette éventualité. En pleine guerre froide, l’entrée des communistes au gouvernement français menacerait l’équilibre politique de l’Europe occidentale et risquerait de déstabiliser en chaîne d’autres États alliés. Elle menacerait directement la sécurité du commandement de l’Alliance atlantique, installé sur le sol français. Elle compromettrait le rôle stratégique dévolu à la force de dissuasion nucléaire française, en cours de constitution, au moment précis où les transferts de technologies américaines permettent d’envisager une première explosion expérimentale. En ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie, elle placerait inévitablement au pouvoir le seul FLN pro-soviétique au risque de le voir autoriser l’URSS à installer des missiles stratégiques en Afrique du Nord, pointés sur l’Europe occidentale.

En application du National Security Act du 26 juillet 1947 « dans l’intérêt de la paix dans le monde et dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis », le Conseil national de sécurité étudie alors les possibilités d’action secrète pour empêcher l’arrivée des communistes au gouvernement français et la prise de contrôle de l’Algérie par les marxistes du FLN. Les informations recueillies par la Central Intelligence Agency (CIA) font état de l’hostilité des officiers supérieurs français à « l’abandon » de l’Algérie et de la lassitude de l’opinion publique. Les rapports du « département des coups tordus », sobriquet de la Direction de la planification, indiquent que les agents « stay-behind » recrutés en France, formés et entretenus par les services secrets de l’Alliance atlantique, sont en mesure de fomenter un coup d’État militaire. Le Département d’État considère que l’instauration d’une dictature militaire en France compromettrait l’image du « monde libre ». Après consultation, il énonce qu’un coup d’État n’apporterait de solution que si l’officier ou la junte au pouvoir auto-limitaient leur dictature et rétablissaient rapidement les libertés démocratiques au sein d’un régime renouvelé d’où les communistes seraient écartés. Pour donner une orientation politique à une junte, on cite le nom d’un général nationaliste, Charles De Gaulle, que le président Eisenhower a connu lorsqu’il dirigeait à Londres le gouvernement en exil de la France libre. Bien que les Anglo-Américains l’aient tenu à l’écart des conférences de Téhéran et de Yalta, puis du débarquement, les États-Unis avaient en définitive reconnu in extremis son gouvernement en exil, l’avaient autorisé à entrer avant eux dans Paris, et l’avaient installé à la tête d’un gouvernement provisoire pour qu’il jugule la pression communiste. Mais De Gaulle, qui n’avait pas encore construit sa légende, fut rapidement chassé du pouvoir par les urnes. En décembre 1947, les Américains songèrent à l’utiliser à nouveau et John F. Dulles vint lui rendre visite pour sonder sa volonté de participer à un éventuel coup d’État en cas de triomphe électoral des communistes. Depuis, ce général attend son heure dans sa retraite de Colombey-les-Deux-Églises.

Le général Dwight D. Eisenhower autorise l’exécution du plan élaboré par le NSC (document 5721/1 du NSC, émis en 1957), et préparé par le Département de la planification (ex-OPC). Conformément au protocole secret du Traité de l’Atlantique-Nord, le président des États-Unis fait informer oralement le président du Conseil français, le radical Félix Gaillard, que l’Alliance met en œuvre les moyens nécessaires pour faire barrage à un nouveau Front populaire. À cette fin, il dépêche un représentant spécial à Paris, le sous-secrétaire adjoint aux Affaires politiques, Robert D. Murphy. Ce dernier est reçu à l’hôtel de Matignon, le 11 avril 1958. Accompagné par l’ambassadeur Amory Houghton, il remet à Félix Gaillard une lettre sur la situation en Afrique du Nord et transmet un supplément oral. Il est peu probable que le chef du gouvernement ait compris la signification exacte de ce message, peut-être s’est-il attendu à une simple opération de déstabilisation du Parti communiste. Les 29 et 30 avril 1958, les États-Unis convoquent à Paris la première réunion de l’Allied Coordination Committee (ACC) au cours de laquelle, selon le relevé de décisions, ils « développent des avis de politique en matière d’intérêts communs concernant le stay-behind ». Bref, ils réorganisent le réseau et informent leurs alliés que les intérêts communs de l’Alliance exigent de faire intervenir les stay-behind en France.

Le temps des complots

En 1957-58, les stay-behind préparent l’arrivée de Charles De Gaulle en suscitant des complots. Le plus connu est celui du « Grand O ». Il est dirigé par le général Cherrière (CR), fondateur des Unités territoriales qui disposent de vingt-deux mille réservistes, désigné sous le nom de code de « Grand A ». Le général Lionel-Max Chassin, président de l’Association des anciens d’Indochine et coordinateur de la défense aérienne de l’OTAN pour la zone Centre-Europe, est devenu « Grand B ». Chassin est par ailleurs l’un des responsables du « Brain Trust Action », la cellule assassinat du réseau stay-behind. Les conjurés sont recrutés par l’inévitable Docteur Martin, alias « Grand V », figure historique de la « Cagoule ». Ils rassemblent des syndicalistes et divers officiers d’extrême droite disposant chacun de leurs propres réseaux dans les armées. Le sergent Yves Gignac, secrétaire général de l’Association des anciens d’Indochine, puise dans une organisation de vingt-huit mille membres. Tandis que le jeune colon Robert Martel peut compter sur des militants de l’Union française nord-africaine (UFNA) dont il est secrétaire général. Le complot dispose d’une antenne à Alger chez l’occultiste Rolande Renoux. Aux yeux de ses membres, le « Grand O » se propose de sauver l’Empire français en plaçant l’Armée au pouvoir.

Précisément, des officiers supérieurs craignent d’être privés de leur victoire par une capitulation politique comme ils pensent l’avoir été en Indochine. Ils veulent obtenir les pleins pouvoirs en Algérie et des moyens militaires illimités pour écraser la rébellion. Le général Jacques Massu réunit autour de lui ceux pour qui, seul le général Charles De Gaulle est capable d’une telle politique de fermeté. Ne s’est-il pas montré impitoyable, en mai 1945, donnant l’ordre de massacrer des dizaines de milliers de Nord-Africains manifestant à Sétif qui, s’étant battus à ses côtés contre l’Axe, croyaient avoir gagné leur liberté ?

Le lieutenant-colonel Jacques Foccart assure la coordination entre « le » Général et les différents groupes de comploteurs. Le sénateur Michel Debré supervise la propagande en s’appuyant notamment sur l’hebdomadaire grand public Carrefour d’Émilien Amaury et Jean Dannenmüller et sur le bulletin Le Courrier de la Colère de Jean Mauricheau-Baupré. L’activité des stay-behind, devenue voyante, est couverte par le ministre de la Défense,
Jacques Chaban-Delmas.

Le moment est venu pour les Américains de passer à l’offensive. Le 30 avril 1958, Michel Debré déclare
« Il n’est que temps de réagir et, depuis les meilleurs siècles de la République romaine, on sait ce que signifie réagir. Le gouvernement de Salut public est la seule formule moderne qui définit les mécanismes très anciens grâce auxquels, la Rome libre et fière, en ces temps de crise, allait chercher un Cincinnatus pour lui confier,
pendant un temps déterminé, et avec des pouvoirs exceptionnels, le soin de faire la politique que les mécanismes habituels étaient, par faiblesse interne ou devant la gravité des dangers externes, hors d’état d’imposer ».
Au New York Times qui lui demande s’il pourrait s’emparer du pouvoir, Charles De Gaulle répond :
« Pourquoi pas ? J’ai déjà réalisé deux coups d’État dans ma vie. En juin 1940, quand j’ai établi notre mouvement
à Londres, j’ai accompli un coup d’État. Et, en septembre 1944, j’ai fait un coup d’État à Paris... J’ai constitué un gouvernement, j’étais le gouvernement ».

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Le coup d’Etat débute à Alger

Le 9 mai 1958, le secrétaire d’État, John F. Dulles, voyageant entre Berlin et Washington, fait une escale de quelques heures à Paris, non pas pour y rencontrer les autorités françaises, mais pour une réunion de travail avec des diplomates et généraux américains en poste en Europe. Il transmet le feu vert de l’opération. Le jour même, le général Raoul Salan télégraphie une mise en garde au gouvernement : « La presse laisse penser que l’abandon de l’Algérie serait envisagé par le processus diplomatique qui commencerait par des négociations en vue d’un cessez-le-feu [...] L’armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national. On ne saurait préjuger de sa réaction de désespoir ».

Le 13 mai, sur le forum d’Alger, une manifestation de colons en hommage à trois prisonniers exécutés par le FLN, tourne à l’insurrection.

Dans la foule, on reconnaît deux spécialistes de la subversion, directement arrivés de Paris : Delbecque et Ousset. Léon Delbecque représente le ministre de la Défense, Jacques Chaban-Delmas, au cabinet duquel il est chargé de mission. Jean Ousset [12], qui est reconnu comme un maître à penser par de nombreux officiers supérieurs, est envoyé par le Secrétaire général permanent de la Défense nationale, Geoffroy Chodron de Courcel. Il est aussi le fondateur de la Cité catholique et le représentant politique en France de l’Opus Dei.

La foule prend d’assaut et saccage le Palais du Gouvernement. Elle déboulonne la statue de la République. Les généraux Jacques Massu et Raoul Salan, qui participent au complot, prennent la tête des insurgés. Ce sont des « durs » qui ont commandé la « bataille d’Alger » et généralisé la torture face au FLN. Apparaissant au balcon du Palais, ils annoncent la création d’un Comité de Salut public, sorte de gouvernement provisoire. Après un moment d’hésitation, Salan renonce plus ou moins au leadership politique et lance un appel à De Gaulle. Parmi les trente-quatre membres du Comité, on trouve Robert Martel et Léon Delbecque, déjà cités, et Pierre Lagaillarde, Joseph Ortiz, Claude Dumont et le colonel Roger Trinquier, qui joueront pour longtemps un rôle de premier plan. Le soir, Massu télégraphie au président de la République, René Coty : « Vous rendons compte création Comité Salut public Civil et Militaire à Alger, sous ma présidence, moi général Massu, en raison gravité exceptionnelle et nécessité absolue maintien de l’ordre, et ce pour éviter toute effusion de sang. Exigeons création à Paris d’un gouvernement de Salut public, seul capable de sauver l’Algérie partie intégrante de la métropole ».

Le président Coty lui écrit en retour : « Gardien de l’unité nationale, je fais appel à votre patriotisme et à votre bon sens pour ne pas ajouter aux épreuves de la patrie celle d’une division des Français en face de l’ennemi [...] Je vous donne l’ordre de rester dans le devoir sous l’autorité du gouvernement de la République française ».

Le 15 mai, la foule scande sur le forum « L’Armée au pouvoir ! ». Le général Raoul Salan abat les cartes en lui répondant au balcon du Palais : « Vive la France, Vive l’Algérie française ! Vive le général De Gaulle ! ». À Paris, les partisans du Comité de Salut public, gaullistes et fascistes du Parti patriote révolutionnaire (PPR) et de Jeune Nation [15], défilent côte à côte sur les Champs-Élysées. Derrière le député Jean-Marie Le Pen, qui ouvre un cortège où se mêlent croix de Lorraine et croix celtiques, ils crient « Algérie française », « Les députés à la Seine ! », « De Gaulle au pouvoir ! ». Le service d’ordre de la manifestation est assuré par l’Association pour l’appel au général De Gaulle dans le respect de la légalité républicaine (sic), une structure mise en place par le stay-behind.

Le 16 mai, le gouvernement de Pierre Pflimlin, qui vient tout juste d’être constitué, n’ose pas sanctionner les généraux d’Alger. Il se contente de prévenir la contagion dans les armées en cantonnant le plus loin possible les officiers supérieurs les moins loyalistes. Il décrète la dissolution des ligues fascistes qui viennent de le défier, Jeune Nation et le PPR. Certains dirigeants sont interpellés et écroués. D’autres plongent dans la clandestinité. Me Jean-Baptiste Biaggi et Alain Griotteray, respectivement président et secrétaire général du PPR, s’enfuient en Espagne d’où ils gagnent Alger dans un avion affrété pour eux par le « caudillo » Franco. Ils parviennent à prendre contact avec Massu, mais sont refoulés par Salan, qui ne veut pas partager la vedette. De même, les députés Jean-Marie Le Pen et Jean-Maurice Demarquet tentent de rejoindre Alger et sont également refoulés par Salan. Sur le chemin du retour, ils font une escale en Andorre, pour y rencontrer un des chefs des stay-behind, Pincemain. Pendant ce temps, le Parlement vote l’état d’urgence pour trois mois. Les préfets peuvent prononcer des interdictions de circulation et des couvre-feux. Ils peuvent fermer tout lieu de réunion et assigner qui bon leur semble à résidence. La presse écrite et audiovisuelle est soumise à la censure.

Les Américains de dévoilent

Pour De Gaulle, le fruit est mûr. Dans un communiqué, il déclare : « La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus désastreux. Naguère le pays dans ses profondeurs m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République » (15 mai 1958). Ce que L’Humanité résume dans son titre de
« une » : « De Gaulle jette le masque. Le chef des généraux factieux revendique le pouvoir personnel. À bas la dictature militaire ! Travailleurs, républicains de toutes tendances, unissez-vous, agissez, organisez-vous pour briser toute tentative de coup d’État ! Vive la République ! » (16 mai). Tandis que le radical Pierre Mendès-France appelle à la tribune de l’Assemblée nationale « à l’action contre les hommes de la sédition à qui De Gaulle fournit sa caution et son soutien ».

L’avionneur Marcel Dassault ouvre un crédit à son fondé de pouvoir, le général Pierre Guillain de Bénouville, pour assurer les besoins logistiques immédiats. Bénouville loue un avion privé en Suisse et accompagne Jacques Soustelle à Alger. Ancien directeur des services secrets de la France libre, Soustelle avait acquis une grande popularité chez les colons lorsqu’il fut gouverneur général de l’Algérie, en 1955-56. Au nom de De Gaulle, il entend prendre en main la direction politique du Comité de Salut public. Le comte Alain Le Moyne de Sérigny, directeur de L’Écho d’Alger, leur remet dix millions de francs pour financer le coup gaulliste.

Le général Lionel-Max Chassin, ancien coordinateur des forces aériennes de la zone Centre-Europe de l’OTAN, coordonne un mystérieux Comité national pour l’indépendance. Sous ses ordres des Comités secrets de Salut public se forment à Lyon (présidé par le général de corps d’armée Marcel Descour), Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Angers, Strasbourg et Marseille (Charles Pasqua). Il appelle à la constitution de comités similaires dans chaque commune et leur donne instruction de se tenir prêts à prendre les préfectures. Toujours le 16 mai, Chassin réunit l’état-major secret du stay-behind à Lyon. Si l’on ignore l’identité des participants à cette rencontre, on peut supposer que le chef de zone du Gladio, François Durand de Grossouvre, est présent. Chassin rédige un ultimatum au gouvernement et pose pour une photo de presse. Le communiqué et la photo, où il apparaît en uniforme français et casque américain, mitraillette au poing parmi ses officiers, sont diffusés de Genève. Chassin affirme se tenir prêt à marcher sur Paris à la tête de quinze mille hommes. Inquiet, le gouvernement helvétique demande au général Lionel-Max Chassin de s’engager à ne pas interrompre l’approvisionnement de la Confédération par le couloir rhodanien.

La nouvelle de l’implication des Américains dans la tentative de putsch fait le tour du monde des chancelleries. Elle sème la panique au sein du gouvernement français qui en interdit immédiatement la diffusion sur le territoire national. Tous les journaux qui en font état sont saisis [20]. Un mandat d’amener est délivré à l’encontre du général Chassin qui, selon certains députés, aurait établi son quartier général non loin de Mont-de-Marsan.

Le 19 mai, De Gaulle donne une conférence de presse au Palais d’Orsay. Elle est organisée par les stay-behind de l’Association pour l’appel au général de Gaulle dans le respect de la légalité républicaine qui encadraient la manifestation de Le Pen aux Champs-Élysées. Un journaliste interroge le général : « Certains craignent que, si vous reveniez au pouvoir, vous attentiez aux libertés publiques ». Il répond : « L’ai-je jamais fait ? Au contraire, je les ai rétablies quand elles avaient disparu. Croit-on qu’à soixante-sept ans je vais commencer une carrière de dictateur ? »

L’Assemblée nationale vacille. Plutôt que d’exiger la révocation et l’arrestation des factieux, elle exprime sa peur en votant une vague motion d’hommage à l’armée et reconduit les pouvoirs spéciaux dont dispose les militaires pour conduire la guerre en Algérie. Le gouvernement titube. Incapable d’agir, il s’égare en proposant une tardive réforme constitutionnelle qui lui donnerait une stabilité et une forme collégiale sur le modèle du Conseil fédéral helvétique.

Antoine Pinay, membre de l’Opus Dei, joue de l’image rassurante dont il dispose dans l’opinion publique pour presser le gouvernement, puis le président de la République, de prendre contact avec De Gaulle. Face à la montée du péril, les partis et syndicats de gauche refont leur unité. Ils mobilisent ensemble cinq cent mille manifestants qui marchent de la place de la Nation à celle de la République en scandant « Halte au fascisme, Non à la dictature militaire, Paix en Algérie ».

Le Comité de Salut public, désormais conseillé par Jacques Soustelle, annonce qu’il étend ses pouvoirs au Sahara et déclare qu’il « est fermement résolu à mettre en place un gouvernement de Salut public présidé par le général De Gaulle pour promouvoir et défendre la réforme profonde des Institutions de la République ». Ce que Sérigny explicite dans son journal : le Comité, dit-il, va « renverser le régime pourri ».

Le 24 mai, le président du Conseil Pierre Pflimlin s’adresse par radio à la nation : « J’ai le devoir d’alerter les Français attachés aux libertés que garantissent les lois de la République. Des factieux essaient de nous entraîner sur la pente qui conduit à la guerre civile. Pour conjurer ce péril, il n’est qu’un moyen : c’est de vous rassembler autour du gouvernement qui défendra contre tous les extrémismes, contre tous les adversaires de la liberté, quels qu’ils soient, l’ordre public, la paix civile et l’unité de la Nation et de la République ». Trop tard. Toute alternative crédible au putsch militaire s’est évanouie. Nul, ni à droite, ni à gauche, ne paraît plus en mesure de trouver une solution civile à la crise.

Le 26 mai, le Comité de Salut public se dote d’un triumvirat exécutif composé de Massu, Soustelle et du docteur Sid Cara dans le rôle de l’alibi musulman. Deux cent cinquante parachutistes du 11e Choc débarquent d’Alger et prennent d’assaut la préfecture d’Ajaccio. Cette unité est conduite par le député Pascal Arrighi, qui appartenait avec Biaggi et Griotteray au Réseau Orion sous l’Occupation. Il est porteur d’un ordre de mission du général Raoul Salan et semble obéir à l’état-major secret du général Lionel-Max Chassin. Les parachutistes installent un Comité de Salut public en Corse coprésidé par Pascal Arrighi et Henri Maillot, un conseiller municipal d’Ajaccio qui est parent de De Gaulle.

Le président Coty, qui n’a plus d’autre choix possible, joint le reclus de Colombey-les-Deux-Églises. De Gaulle franchit à son tour le Rubicon. Il communique (27 mai) : « J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays. Je compte que ce processus va se poursuivre et que le pays fera voir par son calme et sa dignité qu’il souhaite le voir aboutir [...] J’attends des forces terrestres, navales et aériennes, présentes en Algérie qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs. À ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux ».

L’Assemblée nationale lève l’immunité parlementaire de Pascal Arrighi et un mandat d’amener est délivré contre lui. Mais il trouve asile au Vatican où le conduit René Brouillet, ambassadeur de France près le Saint-Siège, et où le reçoit son frère, Mgr. Jean-François Arrighi, administrateur des Pieux établissements de la France à Rome.

Le 28 mai, le gouvernement Pflimlin prend acte et démissionne. De Gaulle refuse de se présenter devant les Assemblées pour y être investi et exige qu’on le porte au pouvoir sans qu’il ait à débattre de ses intentions. Dans une lettre au président Coty, il se fait menaçant : « Je me heurte, du côté de la représentation nationale, à une opposition déterminée. D’autre part, je sais qu’en Algérie et dans l’armée, quoi que j’aie pu dire, quoi que je puisse dire aujourd’hui, le mouvement des esprits est tel que cet échec de ma proposition risque de briser les barrières et même de submerger le commandement [...] Ceux qui, par un sectarisme qui m’est incompréhensible, m’auront empêché de tirer encore une fois la République d’affaire, quand il en était encore temps, porteront une lourde responsabilité. Quant à moi, je n’aurai plus, jusqu’à ma mort, qu’à rester dans mon chagrin ».

Dans une interview à la presse britannique, le général Jacques Massu déclare : « C’est au général De Gaulle de décider si l’armée doit le porter au pouvoir par la force ou non ».

Désemparés par les événements, effrayés par les troubles et le déploiement de la troupe à Paris, les parlementaires investissent sans débat Charles De Gaulle comme président du Conseil, le 1er juin. Rares sont ceux qui, comme Pierre Mendès-France, s’y opposent. Celui-ci clame : « Je n’admets pas de vote sous la menace de l’insurrection et du coup de force militaire », « Quoi qu’il en coûte aux sentiments que j’éprouve pour la personne et pour le passé du général de Gaulle, je ne voterai pas en faveur de son investiture. Je ne puis admettre de donner un vote contraint par l’insurrection et la menace d’un coup de force militaire. Car la décision que l’Assemblée va prendre - chacun le sait ici n’est pas une décision libre, le consentement que l’on va donner est vicié ».

Deux jours plus tard, l’Assemblée se saborde : elle autorise le général-président à user de pouvoirs spéciaux en Algérie, lui remet les pouvoirs constituants, enfin lui accorde les pleins pouvoirs pour six mois. De son « perchoir », le président de l’Assemblée lance par bravade un tonitruant « Vive la République ! » et conclut tristement « Prochaine séance à une date indéterminée ». La IVe République vient d’être renversée sous la pression des armes. Le sang n’a pas été versé, les épées ne sont pas sorties des fourreaux.

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Léon Delbecque (au centre), représentant du général De Gaulle, et les membres des Comités de Salut public d’Ajaccio et de Bastia saluent à l’issue d’un diescours de Pascal Arrighi. L’intention des conjurés et le sort qu’ils réservent au pays ne font aucun doute si le Parlement refuse d’investir De Gaulle.

Cette photographie, censurée en France, fut publiée dans la presse italienne avec la légende : "Ils s’apprêtent à marcher sur Paris" (référence à la marche sur Rome qui permit à Mussolini de prendre le pouvoir).

La renaissance de la France éternelle est en marche : De Gaulle interrompt l’opération « Résurrection », c’est le nom donné au complot. Le général d’armée Max Gelée rappelle les parachutistes, qui avaient déjà décollé : il n’est plus nécessaire qu’ils sautent sur le Palais-Bourbon pour arrêter les principaux leaders de la gauche. Jacques Dauer, quant à lui, stoppe les commandos civils qui, déjà regroupés et armés autour de Jean-Baptiste Biaggi et d’Alain Griotteray (PPR), des frères Jacques et Pierre Sidos (Jeune Nation), d’Alexandre Sanguinetti et du colonel Paul Paillole (Amicale des anciens des services spéciaux) se tenaient eux aussi prêts à l’assaut.

De Gaulle rappelle de Rome l’ambassadeur René Brouillet qu’il nomme secrétaire général du gouvernement pour l’Algérie, tandis qu’il désigne Geoffroy Chodron de Courcel comme ambassadeur à l’OTAN. Il choisit comme directeur de son cabinet Georges Pompidou, directeur général de la banque Rothschild frères. Il donne des airs d’union nationale au gouvernement en y intégrant, avec les honneurs, mais sans portefeuilles, Guy Mollet (SFIO) et Pierre Pflimlin (MRP).

En juillet 1958, le secrétaire d’État américain, John Foster Dulles, vient rencontrer officiellement Charles De Gaulle à Paris. Dulles débute l’entretien en évoquant le projet de complot qu’il avait préparé avec De Gaulle en 1947, manière élégante de rappeler à son interlocuteur des secrets partagés et une relation inégale. Puis, il fait le point de la situation et s’assure que son interlocuteur a bien compris ce que les États-Unis attendent de lui, notamment sur la question nucléaire.

Peu après le retour de Dulles à Washington, le Conseil national de sécurité (NSC) se réunit. Il se félicite de l’arrivée au pouvoir de De Gaulle et du changement de cap qu’il implique. Après audition du rapport du général Lauris Norstadt, le Conseil décide d’aligner la politique de sécurité des États-Unis en Méditerranée sur celle de la France.

Nominations aux postes clés

Le 4 juin, De Gaulle se rend à Alger où, prenant la parole au balcon du Palais du Gouverneur, il adresse aux colons son célèbre « Je vous ai compris ! ». « Dans toute l’Algérie, poursuit-il, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants :
il n’y a que des Français à part entière ». À Constantine, il prend explicitement position pour l’Algérie française.
Il propose aux nationalistes algériens une « paix des braves » en échange d’un effort de développement pour l’Algérie. Ceux-ci lui répondent depuis Tunis qu’ils se battront jusqu’à l’indépendance et créent un Gouvernement provisoire
de la République algérienne (GPRA) en vue de négocier le retrait des forces coloniales.

Le Comité de Salut public, qui n’a pas disparu pour autant, presse De Gaulle d’instaurer un nouveau régime
et exige la suppression des partis politiques. « Le » général, jaloux de ses prérogatives, répond sèchement
et hâte l’auto-dissolution du Comité.

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Avant de rentrer dans les casernes, les militaires touchent leur dû. Le général-président décrète : « En raison de la situation actuelle et exceptionnelle concernant l’ordre public en Algérie, l’autorité militaire exerce les pouvoirs normalement départis à l’autorité civile ». Le général Raoul Salan est promu délégué général du gouvernement en Algérie. Les différents généraux et colonels impliqués dans le complot du 13 Mai sont nommés aux principaux postes civils en Algérie. Ainsi, le général Jacques Massu est-il nommé préfet d’Alger. Après le général-président, voici donc les généraux-préfets. De « paix des braves », il n’est plus question. Pour mener la guerre à outrance, Salan obtient le crédit pharaonique supplémentaire de cent vingt milliards de francs. Le ministre des Finances, Antoine Pinay, est contraint de lever cinquante milliards d’impôts nouveaux et de lancer un emprunt.

Commentant la stratégie de terreur qui est alors mise en œuvre, le colonel Roger Trinquier déclare à des journalistes américains : « Dites que je suis un fasciste, mais nous devons rendre la population docile, facile à conduire. Nous ne saurions gagner cette guerre à moins d’utiliser des méthodes dures. Il nous faut modifier notre attitude face à cette guerre. Nous devons organiser la population et la maintenir organisée. Les méthodes douces que nous avons appliquées à ce pays ne nous mèneront nulle part ».

À Paris, des non-lieux sont prononcés en faveur de tous les factieux poursuivis sous le gouvernement Pflimlin. Pierre Sidos négocie avec Matignon et est discrètement autorisé par le cabinet du Premier ministre à reconstituer Jeune Nation à partir d’une revue homonyme. Pour l’heure, il milite avec Dominique Venner dans le Mouvement populaire du 13 Mai (MP-13) du général Chassin. Cette association, installée au domicile du général de division Jean Vézinet de La Rue, rassemble des personnalités d’extrême droite ayant participé au 13 mai, notamment les comploteurs du « Grand O », et tente de leur faire admettre le leadership de De Gaulle. Le général Vézinet était l’adjoint de Geoffroy Chodron de Courcel au SGPDN.

Le 14 Juillet cesse d’être la fête du Peuple pour devenir celle du Peuple et de l’Armée. Le général Salan est décoré de la médaille militaire, tandis que Jacques Massu est promu général de division. Les parachutistes qui occupèrent le Palais du gouverneur à Alger défilent sur les Champs-Élysées.

André Malraux est nommé ministre du Rayonnement français (sic). Jacques Soustelle devient ministre de l’Information. Il révoque les dix principaux responsables de la Radio Télévision Française (RTF) qu’il remplace par des dirigeants gaullistes. Me Henry Torres, un parent du général Massu, est nommé directeur général. Louis Terrenoire devient directeur des informations et du journal parlé. Tous les journalistes suspectés de sympathie pour le Parti communiste sont mis à pied. Devant la Commission de la presse de l’Assemblée, Jacques Soustelle déclare que les conditions d’une information objective à la RTF sont enfin remplies.

Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, organise une répression sans précédent des Arabes et Kabyles vivant dans la capitale. Ainsi, l’AFP indique : « Innovation ce soir : les personnes interpellées sont conduites dans un nouveau centre de triage qui a été aménagé au Vélodrome d’hiver [...] À 3 h du matin, près de deux mille musulmans algériens se trouvaient au Palais des sports. Ce sont comme d’habitude les inspecteurs de la brigade des agressions et violences qui procèdent aux opérations de contrôle. Des fichiers sont constitués par les inspecteurs des Renseignements généraux [...] Des rafles aussi importantes se dérouleront les prochains jours ».

L’avènement du nouveau régime

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Un Comité d’experts s’attelle à rédiger un projet de Constitution selon les instructions du général-président. Bien que ses travaux ne fassent l’objet d’aucune communication extérieure et donc qu’aucun des éléments de la future Constitution ne soit connu, le général Jacques Massu ouvre la campagne pour sa ratification. Au micro de Radio Alger, il commente : « Le système, ce n’est pas tel ou tel homme, c’est un mode de gouvernement. Le renverser ne consiste pas à remplacer des hommes par d’autres, mais à modifier les structures. Pour l’abattre, il faut essentiellement gagner le référendum ».

Le général-président entreprend une tournée des colonies. Il est accompagné du ministre de la France d’Outre-Mer, Bernard Cornut-Gentille [25]. Partout, il annonce une réorganisation de l’Empire sous la forme d’une « Communauté » dans laquelle chaque territoire sera désormais autonome, à l’instar du self-government dans le Commonwealth britannique.

Selon les actualités télévisées, il est accueilli partout par des foules en liesse qui saluent en lui le visionnaire de Brazzaville. En effet, De Gaulle aurait anticipé la décolonisation de l’Afrique dans un discours de février 1944. La nouvelle Constitution permettrait aux indigènes à la fois de trouver leur liberté et de continuer à profiter de la bienveillance de la France en s’associant avec elle au sein de la Communauté. En réalité, le discours de Brazzaville fut tenu dans le cadre d’une conférence de hauts fonctionnaires dont le relevé des conclusions stipule : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governements dans les colonies est à écarter ». Quant aux intentions du général-président, elles sont claires : celui qui fut le boucher de Sétif, en mai 1945, est accompagné, tout au long de sa tournée africaine par le général Pierre Garbay, inspecteur général des troupes d’Outre-Mer, qui revendique d’avoir fait massacrer quatre-vingt-neuf mille Malgaches à la suite de l’insurrection du 11 juin 1947. Afin de ne pas contredire les actualités de la RTF, les journalistes dissidents qui suivent le voyage officiel sont interpellés et reconduits en métropole. Les télécommunications sont même interrompues lors de la catastrophique escale guinéenne où la RTF ne peut enregistrer aucune image présentable.

Tout au long de son périple, De Gaulle peut compter sur les applaudissements des bourgeoisies locales devant lesquelles il brandit le spectre du communisme. Simultanément il doit faire face à des manifestations indépendantistes. À Madagascar, il souligne : « Des menaces pèsent sur nous tous : l’anarchie, des rêves de subversion qui précipiteraient le monde dans le chaos. Contre cela, la Communauté est faite aussi ». Dès qu’à une étape, il entreprend des déplacements longs, il doit faire face à des foules scandant « Indépendance ! ». Au stade d’Abidjan, une immense banderole est déployée pendant son discours : « Général De Gaulle, reconnaissez-vous notre indépendance, oui ou non ? ». À Conakry, il essuie un échec cuisant. Au meeting officiel, la foule scande « Indépendance immédiate ! ». Le président Sékou Touré s’adresse sans ambages à son visiteur. « Nous ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance [...] Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». De Gaulle accuse le coup et tente un morceau d’éloquence qu’il conclut par
« Je crois que la Guinée dira Oui [au référendum]. J’ai dit. Vous réfléchirez ».
Aucun applaudissement ne lui répond, seul un long silence glacé.

Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir Fr-doc-200-97cb9

Le 4 septembre à Paris, le ministre du Rayonnement français, André Malraux, met en scène la propagande du nouveau pouvoir. Un décor de théâtre et des gradins sont installés dans un coin de la place de la République. Cinq mille notables ont été invités à assister à la présentation du projet de Constitution par le général-président. Après la remise de décorations officielles à des Français méritants, André Malraux évoque la Résistance et ressuscite les émissions de la BBC. « Ici Paris, Honneur et Patrie, une fois de plus au rendez-vous de l’Histoire et au rendez-vous de la République, vous allez entendre le général De Gaulle ». Le président du Conseil prend solennellement la parole pour adjurer la Nation d’adopter son projet de Constitution. Le meeting est retransmis en direct par les trois stations de radio nationale et par la télévision, qui a modifié l’horaire de son journal pour l’occasion. Mais à l’extérieur de la place, cent cinquante mille manifestants, répondant à l’appel du Parti communiste, scandent « Non, Non, Non, Non ! » pendant le discours de Malraux. Et lorsque le général-président se hisse à la tribune, une clameur monte des rues avoisinantes : « Le fascisme ne passera pas ! ». La police reçoit l’ordre de disperser la foule. Des centaines de manifestants sont blessés. Aucun bruit n’est parvenu aux auditeurs de la RTF, juste quelques hésitations des orateurs leur auront suggéré des difficultés techniques.

Dès le lendemain, les parlementaires sont invités se positionner ; ce qu’ils font en réaction aux propos de De Gaulle, sans avoir pris connaissance du texte soumis au référendum, qui ne sera diffusé à la presse que le surlendemain. Pierre Mendès-France dénonce le chantage permanent aux paras qui conduit à accepter la nouvelle Constitution sans la discuter, comme a été acceptée précédemment la chute de la IVe République. Il note que le projet distingue le sort de l’Algérie appelée à rester dans la France de celui des territoires d’Outre-Mer, censés devenir autonomes et associés. Surtout, il met en cause le principe du référendum qui exige une réponse binaire et ne permet pas de débattre des nombreuses options contenues dans le projet.

De son côté, le Parti communiste exhume le projet de Constitution élaboré par Philippe Pétain [26] et note avec dégoût les nombreuses similitudes qu’il présente avec le projet De Gaulle.

La radio et la télévision d’État rendent compte en détail de tous les appels au Oui et assimilent le Non à une directive soviétique relayée par le Parti communiste. En dehors de la presse communiste, seule La Dépêche du Midi du sénateur radical Jean Baylet milite pour le Non. Une kyrielle d’associations apparemment différentes fleurit pour soutenir le Oui. La plus tapageuse est l’Association nationale pour le soutien à l’action du général De Gaulle (nouvelle dénomination de l’Association pour l’appel au général De Gaulle dans le respect de la légalité républicaine), animée par les stay-behind Bernard Dupérier et Henri Gorce-Franklin. Elles disposent toutes de temps d’antenne à la RTF et sont coordonnées en sous-main par l’Amicale des anciens des services spéciaux dirigée par le colonel Paul Paillole, l’homme de confiance de Jacques Soustelle. La gauche non-communiste bat en retraite. Derrière Guy Mollet, la SFIO se rallie à De Gaulle, tandis que, derrière Félix Gaillard et le lobby colonial, le parti radical en fait autant, mettant Mendès-France et Baylet en minorité.

En Algérie, le général Raoul Salan supervise « l’Opération Référendum ». Des instructions sont diffusées aux officiers. « Il est inutile d’insister sur l’intérêt vital que représente pour la France le succès du référendum. Son échec compromettrait irrémédiablement la politique de rénovation entreprise depuis le 13 mai. Il importe donc que l’armée, détentrice des pouvoirs civils et militaires en Algérie, entreprenne une vaste campagne de propagande pour obtenir :
une participation massive au référendum ;
une très forte majorité de Oui.
[...] pour mettre en condition la population musulmane, il faut surtout créer et développer le mythe De Gaulle ».

Toutes les réunions en faveur du Non sont interdites et les matériels électoraux saisis. Lors des opérations de vote, l’armée établit les listes électorales, transporte les populations aux bureaux de vote, tient les urnes, et dépouille les bulletins. La mascarade est complète.

En métropole, la Constitution est approuvée par 79,25% des suffrages exprimés. Dans les colonies, la moyenne est de 94% de Oui. On atteint même 99,99% en Côte-d’Ivoire. Seule ombre au tableau : la Guinée. De Gaulle a décidé de lui donner sa liberté et de lui faire payer cher l’affront qu’elle lui a fait. Ce sera aussi un moyen de dissuader les autres prétendants à l’indépendance. Les élections n’y étant pas contrôlées par l’armée et aucune fraude importante n’ayant été relevée, le Oui n’y remporte que... 4,6%.

Avec l’adoption de la Constitution prennent fin les pleins pouvoirs accordés par la IVe République finissante. Mais, au titre des dispositions transitoires prévues par l’article 92 du nouveau texte, ils sont prolongés pour quatre mois. Le temps nécessaire pour procéder à l’élection du premier président de la Ve République et des nouveaux députés. Un collège de grands électeurs, composé en majorité de notables ruraux, élit Charles De Gaulle à 78%. Pour les législatives, le gouvernement décrète le scrutin majoritaire à deux tours et découpe à son avantage les circonscriptions de sorte qu’un candidat gaulliste a besoin de dix-neuf mille voix pour être élu quand il en faut trois cent quatre-vingt mille à un candidat communiste. Les gaullistes, qui ne recueillaient que 4,42% des voix lors de la consultation précédente, obtiennent 198 députés. La plupart de ceux qui s’étaient opposés à la Constitution sont balayés ; parmi eux, Pierre Mendès-France est battu par un jeune opusien, Rémy Montagne. Les institutions ayant été verrouillées, les pleins pouvoirs peuvent prendre fin.

De Gaulle réorganise son équipe. Michel Debré est nommé Premier ministre ; René Brouillet devient directeur de cabinet du président, tandis que Georges Pompidou passe au Conseil constitutionnel. Geoffroy Chodron de Courcel est nommé secrétaire général de l’Élysée, tandis que le général André Beaufre le remplace à l’OTAN.

Une monarchie élective

Contrairement à ce que prétend l’histoire officielle, la IVe République n’est pas morte d’être trop démocratique, mais de ne pas être assez républicaine. Certes, le harcèlement parlementaire du gouvernement a provoqué une instabilité ministérielle impropre à la conduite de grandes réformes. Il était possible de remédier à ce grave défaut en rééquilibrant les pouvoirs par un simple contrôle de constitutionnalité du règlement interne des Assemblées, mais aucune majorité ne le fit.

Surtout, la IVe République n’a pas su appliquer les principes universalistes dont elle se réclamait. Elle a refusé avec obstination l’égalité en droits des « peuples associés », par exemple en remettant toujours à plus tard la suppression du double collège électoral en Algérie, pourtant annoncée par le Front populaire, en 1936. Elle a craint les résultats du suffrage universel qui seraient advenus si les électeurs français étaient devenus majoritairement non européens.

Au contraire, face à ces contradictions, De Gaulle incarne une cohérence : la domination par la force. Pour maintenir encore le joug français sur les colonisés, il se propose d’exalter le nationalisme et de solder l’idéal universaliste de la République. Pour ce faire, il accorde une complète autonomie à chaque colonie, de sorte que le principe égalitaire en vigueur en métropole puisse cohabiter avec des systèmes discriminatoires variés hors métropole, et que leur exploitation économique puisse perdurer. En outre, il entend liquider la démocratie représentative, le « régime d’Assemblée », qu’il exècre et instaurer un pouvoir personnel. Dans la tradition bonapartiste, il prétend, par sa personne, réconcilier l’inconciliable : le contrat social de la République et la France éternelle de l’Ancien régime. Ainsi ponctue-t-il ses interventions d’un paradoxal « Vive la République ! Vive la France ! ».

Il est objectivement aidé dans son entreprise par les socialistes et les communistes qui, postulant le primat du collectif sur l’individu, ne veulent pas davantage que lui reconnaître l’égale citoyenneté des individus, bien que ce soit au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Comme le notent à l’époque tous les commentateurs, les institutions de la Ve République n’a de républicaine que le nom. On ne voit d’ailleurs pas comment un putsch militaire, ourdi pour renverser une république, pourrait donner naissance à une nouvelle république. Elles consacrent une « monarchie non héréditaire », selon la formule de Mendès-France. Pire, en faisant du président de la pseudo-République, le président de droit de la Communauté, elle le rend personnellement responsable de l’Empire comme les rois des Belges étaient personnellement propriétaires de leurs colonies. En définissant le domaine de compétence de la Communauté, elle définit les pouvoirs du président dans ce que l’on appellera désormais « le domaine réservé ». Ce domaine comprend « la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière commune ainsi que la politique des matières premières stratégiques. Il comprend en outre, sauf accord particulier, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, l’organisation générale des transports extérieurs et communs et des télécommunications. Des accords particuliers peuvent créer d’autres compétences communes ou régler tout transfert de compétence de la Communauté à l’un de ses membres » (article 78).

Un lobbyiste du patronat, Georges Albertini, le stay-behind qui dirige la principale officine anti-communiste en France, intervient auprès de De Gaulle pour faire ajouter une disposition à la Constitution. Elle dispose : « [Les partis et groupements politiques] doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie " (article 4). Elle devrait permettre d’interdire le Parti communiste quand le rapport de force s’y prêtera.

Thierry Meyssan

Source
http://www.voltairenet.org/Quand-le-stay-behind-portait-De

A la suite de cet article se trouve une documentation qui avère les faits expliqués ci-dessus.

Bien Amicalement.
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Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir Empty Quand le stay-behind voulait remplacer De Gaulle

Message  Silver Wisdom Lun 30 Avr - 15:12

Bonjour à tous,

Quand le stay-behind voulait remplacer De Gaulle
par Thierry Meyssan

L’opinion publique attend d’abord de De Gaulle qu’il rétablisse la paix en Algérie. « Le » général s’est implicitement engagé à la dissocier des autres colonies, à maintenir son statut de département français. Il doit rapidement déchanter. Malgré leur ampleur, les opérations militaires sont vouées à l’échec. D’autant plus que les appelés du contingent et leurs familles ne veulent pas se battre pour l’Algérie française.

Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir Fr-doc-206-205c9

En privé, le général-président ne cache pas ses sentiments. À Alain Peyrefitte, il déclare : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne [...] Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront peut-être vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et les Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! ».

En public, il s’exprime évidemment plus sobrement. Lors d’une conférence de presse, le 16 septembre 1959, Charles de Gaulle laisse entendre sa préférence pour « le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyés sur l’aide de la France et en union étroite avec elle ».

La Journée des barricades

En janvier, la presse allemande rapporte un entretien avec le général Jacques Massu dans lequel celui-ci regrette que l’armée ait choisi De Gaulle. Il déplore le virage politique du gouvernement et affirme que l’armée poursuivra son action. Bien que Massu ait immédiatement démenti les propos qui lui sont imputés, De Gaulle lui ordonne de venir s’expliquer à Paris.

À Alger, les ultras, civils et militaires, qui croient - à tort - pouvoir compter sur le soutien de Massu, descendent dans la rue, le 24 janvier 1960. C’est la "journée des barricades". L’ordre de l’insurrection est donné par le colonel Jean Gardes du 5e Bureau militaire. Les émeutiers sont conduits par le député Pierre Lagaillarde et Me Jean-Baptiste Biaggi, le cafetier Joseph Ortiz et le syndicaliste étudiant Jean-Jacques Susini. Le 26, au petit matin, on compte déjà vingt-cinq morts. Des officiers rebelles diffusent un communiqué sur Radio-Alger : "L’heure de l’espoir a sonné (...) Nous ne devons plus attendre pour ressusciter l’esprit du 13 mai (...) Notre armée est à la pointe du combat pour l’Occident. Nous nous efforçons de ne pas lui imposer le problème d’un choix susceptible de la diviser et de l’affaiblir". Pour rétablir l’ordre, le général Maurice Challe, commandant en chef des forces armées en Algérie, déclare l’état de siège, mais il interdit d’ouvrir le feu sur les insurgés.

À Paris, quatre-vingts mandats d’arrêt sont lancés contre les instigateurs de l’insurrection. Le député Jean-Marie Le Pen, qui a appelé à étendre les barricades à Paris, et le théoricien Georges Sauge sont placés en garde à vue. Le 29 au soir, le général-président apparaît en uniforme à la télévision et prononce une allocution. "J’ai pris, au nom de la France, la décision que voici : les Algériens auront le libre choix de leur destin. Quand d’une manière ou d’une autre - conclusion d’un cessez-le-feu ou écrasement total des rebelles - nous aurons mis un terme aux combats, quand, ensuite, après une période prolongée d’apaisement, les populations auront pu prendre conscience de l’enjeu et, d’autre part, accomplir, grâce à nous, les progrès nécessaires dans les domaines, politique, économique, social, scolaire, etc., alors ce seront les Algériens qui diront ce qu’ils veulent être (...) Français d’Algérie, comment pouvez-vous écouter les menteurs et les conspirateurs qui vous disent qu’en accordant le libre choix aux Algériens, la France et De Gaulle veulent vous abandonner, se retirer de l’Algérie et vous livrer à la rébellion ? (...) Je dis à tous nos soldats : votre mission ne comporte ni équivoque, ni interprétation. Vous avez à liquider la force rebelle qui veut chasser la France de l’Algérie et faire régner sur ce pays sa dictature de misère et de stérilité (...) Enfin, je m’adresse à la France. Eh bien ! mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve. En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité nationale que j’incarne depuis vingt ans (sic), je demande à tous et à toutes de me soutenir quoi qu’il arrive".

Cette intervention suffit à ramener le calme après cinq jours d’émeutes. Mais l’insurrection a mis en évidence l’acuité des contradictions internes du gaullisme. " Le " général, qui s’est emparé du pouvoir au nom de l’Algérie française, n’a pas les moyens de tenir ses promesses. En mobilisantcinq cent mille hommes - c’est-à-dire deux soldats pour un colon -, il s’est enfoncé dans une impasse. D’une part, il ne parvient pas à écraser le FLN, d’autre part, il ne pourra pas éternellement poursuivre un tel effort militaire. En menant une guerre à outrance, il a exacerbé les haines et perdu tout espoir d’une solution politique de type dominion. Quand il aura épuisé ses forces, il lui faudra bien se résigner à l’indépendance. Il ne peut donc pas s’étonner de voir son autorité contestée par " ceux qui l’ont fait roi ". Il n’est pas en mesure de sanctionner les officiers qui ont soutenu l’insurrection, pas plus que le général Challe ne pouvait ouvrir le feu sur eux. Tout au plus peut-il sanctionner des civils et espérer une improbable victoire militaire sur le FLN. Pour maintenir la pression, il requiert et obtient de l’Assemblée, les pleins pouvoirs pour un an.
Pierre Lagaillarde et Me Jean-Baptiste Biaggi sont incarcérés. Alain de Sérigny est arrêté. Le FNF de Joseph Ortiz et le MP13 du général Lionel Chassin sont dissous. Le gouvernement est remanié : Jacques Soustelle, trop rigide, est exclu. Il laisse le ministère de l’Information à Louis Terrenoire, qui quitte la RTF. Le légionnaire Pierre Messmer est nommé ministre de la Défense. Il dissout les 5e Bureaux. Ces unités, présentes dans chaque armée, ont théorisé les principes de la " guerre révolutionnaire " incluant la justification de la torture. En effet, au cours de la guerre d’Indochine, des officiers, comme Roger Trinquier et Lionel-Max Chassin, se sont imprégnés de la doctrine militaire de Mao et en ont extrait des principes pour conduire des guerres coloniales. Leur idée de base est qu’un embrigadement réussi des populations comme des soldats suppose que l’on contraigne les corps avant de modeler les esprits. Sous l’autorité de Geoffroy Chodron de Courcel, alors Secrétaire général permanent de la Défense nationale (SGPDN), les 5e Bureaux furent coordonnés par Jean Ousset, le maître spirituel de la Cité catholique et le représentant en France de l’Opus Dei. Les officiers étaient initialement formés au Centre d’instruction et de préparation à la contre-guérilla (Arzew). Jacques Chaban-Delmas ajouta à ce dispositif le Centre d’entraînement à la guerre subversive Jeanne-d’Arc (Philippeville, Algérie), dont il confia le commandement au colonel Marcel Bigeard. Dans la grande salle, on pouvait lire cette maxime inscrite aux murs : "Cette Armée doit être fanatique, méprisant le luxe, animée de l’esprit des croisés". En outre, le stay-behind catholique Georges Sauge animait des conférences et séminaires de formation continue. Bref, Messmer dissout des structures qui ont joué un rôle essentiel dans la prise de pouvoir par De Gaulle, mais dont certaines unités se sont retournées contre lui. La "guerre révolutionnaire" sera désormais une chasse gardée du général gaulliste André Beaufre.

En mai 1960, l’opposition de la MNEF à l’envoi du contingent provoque une scission du syndicat et la création de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) autour de Dominique Venner (ex-Jeune nation et MP-13), François d’Orcival et Alain de Benoist. Elle publie le "Manifeste de la classe 60" d’inspiration ouvertement fasciste.
En juin, un Front national pour l’Algérie française (FNAF) se constitue à Paris. On y retrouve tous ceux qui ne comprennent pas le revirement de De Gaulle et se sentent en sympathie avec les émeutiers d’Alger. Autour de Jacques Soustelle lui-même, on trouve des hommes comme Claude Dumont, Georges Sauge et Yvon Chautard, Me Jean-Louis Tixier Vignancourt et Me Jacques Isorni, Victor Barthélémy, François Brigneau et Jean-Marie Le Pen.
À l’opposé, les adversaires de la guerre publient un " Manifeste des 121 " qui appelle les conscrits à l’insoumission. Ivre d’indignation, le général Raoul Salan dénonce dans une même déclaration les " porteurs de valises du FLN " et la nouvelle politique gouvernementale. Pierre Messmer le rappelle et le cantonne à Paris. Passant dans la clandestinité, il s’enfuit en Espagne où le caudillo Francesco Franco et l’Opus Dei l’attendent. Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, qui sont en liberté provisoire après la journée des barricades, le rejoignent à Madrid. Ensemble, ils constitueront l’Organisation de l’armée secrète (OAS).
Alors qu’en décembre, les ultras amorcent une nouvelle insurrection à Alger, ce sont les musulmans qui se soulèvent. De Gaulle fait rétablir l’ordre à Alger et dissout le FNAF en métropole.

Les opposants à la guerre créent le Rassemblement de la gauche démocratique : côte à côte, la SFIO et le Parti radical, FO et la CFTC, la FEN etc. paradoxalement d’accord avec De Gaulle. Le général-président saisit l’occasion et convoque un référendum pour approuver son virage politique. Le 8 janvier 1961, il obtient 75 % de Oui en métropole, mais seulement 40 % en Algérie. À l’évidence, les ultras ont l’opinion publique métropolitaine contre eux. Ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes : il ne leur reste qu’à renverser De Gaulle ou à faire une sécession à la rhodésienne.

Washington lâche De Gaulle

À Washington, le 9 novembre 1960, le Conseil national de sécurité (NSC) constate que "l’incapacité du gouvernement français et des rebelles algériens à parvenir à un accord, ou au moins à un modus vivendi, qui mettrait un terme au conflit, continue d’être un obstacle majeur à la réalisation des objectifs américains en Afrique du Nord". La CIA considère que le choix de De Gaulle lors du coup du 13 mai 58 était erroné. Il lui semble préférable de l’écarter et de le remplacer par un autre officier, plus docile et surtout plus efficace. Mais son ancien compagnon d’armes, le général Dwight D. Eisenhower refuse les scénarios d’ingérence qui lui sont présentés.

La CIA, qui a acquis une autonomie de décision, sous-traite alors les contacts préparatoires à un nouveau coup à l’Opus Dei. L’Œuvre entre en contact avec le général à la retraite Edmond Jouhaud, ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air. Puis, le directeur des opérations spéciales de l’agence, Richard M. Bissell Jr, chef suprême du stay-behind, rencontre Jacques Soustelle à Washington .

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Le 17 janvier 1961, à l’issue de son second et dernier mandat, le président Eisenhower prononce un discours d’adieu radiodiffusé. Après avoir fait le bilan convenu de son action, il surprend ses concitoyens en les alertant sur le risque que la guerre froide fait courir à la démocratie. "La conjonction d’un immense establishment militaire et d’une vaste industrie d’armement est une nouveauté dans l’histoire américaine, dit-il. Son influence totale -économique, politique et même spirituelle- est perceptible dans chaque ville, chaque État, chaque administration fédérale. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer d’en comprendre les graves implications. Notre travail, nos ressources, notre vie sont concernés. C’est-à-dire la structure même de notre société. Dans les conseils du gouvernement, nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illégitime. Qu’elle soit recherchée ou non par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera. Nous ne devrons jamais laisser le poids de cette conjonction menacer nos libertés ou les processus démocratiques. Nous ne devons rien considérer comme acquis. Seules une vigilance et une conscience citoyennes peuvent garantir l’équilibre entre l’influence de la gigantesque machinerie industrielle et militaire de défense et nos méthodes et nos buts pacifiques, de sorte que la sécurité et la liberté puissent se croître de pair".
Dwight D. Eisenhower laisse le bureau ovale à John Fitzgerald Kennedy. Le jeune président est inexpérimenté face à la CIA. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, il doit faire face au fiasco de la Baie-des-cochons. À son insu, l’agence lance une nouvelle opération.

Le général Maurice Challe, qui venait d’être promu chef d’état-major des forces de l’OTAN pour la zone Centre-Europe, obtient une retraite anticipée et rejoint Alger. Des réunions du stay-behind se tiennent à Paris, dans le bureau du colonel Lacheroy à l’École militaire, tandis que le colonel Godard mobilise des hommes du 11e Choc.

Le putsch du 21 avril 1961


Le 21 avril 1961, les généraux Maurice Challe, André Zeller et Edmond Jouhaud tentent un putsch. Ils ne tarderont pas à être rejoints par le général Raoul Salan, directement acheminé d’Espagne par le beau-frère du caudillo. Ils promulguent un ordre de commandement militaire instaurant l’état de siège et stipulant : "Les individus ayant participé directement à l’entreprise d’abandon de l’Algérie et du Sahara seront mis en état d’arrestation et déférés devant un tribunal militaire qui sera incessamment créé pour connaître des crimes contre la sûreté de l’État".

Radio-Alger devient Radio-France. Elle prend comme indicatif le chant SS Wir Marchieren gegen England. Au micro, le général Challe déclare : "Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs : je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment : garder l’Algérie. Un gouvernement d’abandon s’apprête à livrer le département d’Algérie à la rébellion. Voulez-vous que Mers-el-Kébir et Alger soient demain des bases soviétiques ? Je sais quels sont votre courage, votre fierté, votre discipline. L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront pas d’autre but".

À Paris, le gouvernement se demande s’il a été lâché par les Américains. Il décrète l’état d’urgence. Le Premier ministre, Michel Debré exhorte la population à la RTF : "Des renseignements concordants permettent de penser qu’à très brève échéance une action de surprise serait tentée sur la métropole, en particulier la région parisienne. Des avions sont prêts à lancer ou à déposer des parachutistes sur divers aérodromes afin de préparer une prise du pouvoir (...) Les vols et les atterrissages sont interdits sur tous les aérodromes de la région parisienne à partir de minuit. Dès que les sirènes retentiront, allez-y, à pied ou en voiture, convaincre les soldats trompés de leur lourde erreur. Il faut que le bon sens vienne de l’âme populaire et que chacun se sente une part de la nation".

Face au péril, le Parti communiste apporte son soutien au gouvernement gaulliste pour lutter contre les fascistes. Il appelle à la grève générale. Douze millions de Français quittent leur travail, tandis que s’organisent des groupes de volontaires.

Quand le stay-behind portait De Gaulle au pouvoir Fr-doc-201-1fa1c

Le général-président évalue rapidement la situation car le dispositif mis en place contre lui est précisément celui dont il a disposé à son avantage deux ans plus tôt. Il ne tarde pas à se rendre compte qu’en Algérie, les généraux commandants d’Oran et de Constantine lui restent fidèles, et qu’en métropole, l’armée ne bouge pas. Il envoie un de ses parents éloignés, le colonel Georges de Boissieu, négocier avec la junte. Il protège les bâtiments officiels avec les blindés de la gendarmerie, mais cantonne prudemment ceux de l’Armée de terre dans les casernes. Puis il apparaît en uniforme à la télévision : "J’ordonne que tous les moyens - je dis tous les moyens - soient mis en œuvre partout pour barrer la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire (...) Devant le malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République (...) j’ai décidé de mettre en cause l’article 16 de notre constitution. À partir d’aujourd’hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances". Enfin, il signe une instruction aux armées : "Au cas où un élément insurgé tente de faire violence à un échelon de commandement ou à une force sous ses ordres, il y a lieu de le repousser par tous les moyens, y compris le feu. Chaque fois que se présente l’occasion de contraindre à la soumission un élément insurgé, il est nécessaire de le faire, en employant au besoin les armes. Si ces dispositions ne suffisent pas à provoquer l’effondrement de l’insurrection, des instructions ultérieures prescriront les opérations à engager pour la réduire".

Soudain libérés, les appelés du contingent et quelques officiers loyalistes retournent leurs armes contre les putschistes. Le coup a échoué. Ses chefs rejoignent l’Organisation de l’armée secrète (OAS) dans la clandestinité. Les principales unités impliquées dans le putsch sont dissoutes. C’est notamment le cas du 1e REP de la Légion qui était composé à près de 45 % par d’anciens fascistes hongrois et à 45 % d’anciens SS. Le Front national des combattants de Jean-Marie Le Pen est également dissous. L’hebdomadaire L’Esprit public d’Hubert Bassot et Jean Mabire est interdit. Les six principaux généraux et les quatre principaux colonels impliqués sont destitués. De Gaulle, quant à lui, doit se désengager militairement au plus tôt et hâter l’indépendance que son accession au pouvoir était censée prévenir.

Le président Kennedy envoie un message de sympathie à son homologue français, L’ambassade des États-Unis dément toute implication de la CIA dans le putsch avorté, mais le Quai d’Orsay, qui sait à quoi s’en tenir, alimente la presse en révélations sur le soutien de l’agence aux putschistes.

Une fois la tempête apaisée, Charles de Gaulle encourage Edmond Michelet à quitter le ministère de la Justice et à s’investir dans l’Opus Dei. Le meilleur moyen de prévenir de nouvelles déconvenues étant de resserrer les liens. Michelet parvient à emporter la présidence du Centre européen de documentation internationale (CEDI), le think tank de l’Œuvre divine à Madrid.

L’Organisation de l’armée secrète

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Le programme de l’OAS stipule : "Dans l’état où se trouve la France, il faut une véritable opération chirurgicale qui extirpe définitivement les causes de sa décadence. Cette opération, seuls les nationalistes français peuvent la mener à bien. Il n’existe plus désormais que deux solutions : le nationalisme ou le communisme. C’est pourquoi les nationalistes français ont établi ce programme préalable à partir duquel il sera possible d’appliquer un programme de reconstruction nationale". Suivent la dissolution des partis politiques, la suppression des assemblées parlementaires, l’expulsion des Nord-Africains immigrés en métropole, la francisation des médias, etc.

L’emblème de l’OAS est la croix celtique ou roue solaire. Son organigramme est calqué sur celui du FLN. L’organisation des masses (OM), c’est-à-dire la mobilisation sous la contrainte des Pieds-Noirs, est confiée au colonel Jean Gardes, membre de la Cité catholique et ancien responsable du 5e Bureau. L’action politique et la propagande (APP) échoient à Jean-Jacques Susini. Enfin, l’organisation-renseignements-opérations (ORO) est confiée à Jean-Claude Perez. C’est de cette troisième branche que dépendent les commandos du lieutenant Roger Degueldre, alias "Delta", qui multiplient les attentats. C’est aussi elle qui finance l’organisation par des hold-up. L’ensemble est dirigé par le général Raoul Salan, alias "Soleil" (par analogie avec l’emblème de l’organisation).
L’OAS s’étend en métropole avec une branche militaire créée par le capitaine Pierre Sergent, et une branche propagande autour des éditions de La Table ronde de Roland Laudenbach. Autour d’eux gravitent l’inévitable docteur Martin, le stay-behind Jean Dides, et bien entendu les frères Sidos.
Enfin, l’OAS reconnaît une direction extérieure, placée à Madrid sous l’autorité du colonel Antoine Argoud, de Charles Lacheroy (ex-5e Bureau et Cité catholique), rejoints par les leaders de la "journée des barricades", le député Pierre Lagaillarde (Cité catholique) et Joseph Ortiz.
Toujours à l’insu du président Kennedy, des services US apportent leur soutien à l’OAS sous couvert d’un mystérieux American Committee for France and Algeria et en activant des liens privilégiés avec le général Challe. Quoi qu’il en soit, l’agence ne prend aucun risque, puisqu’elle joue sur les trois tableaux et soutient également des nationalistes algériens et le gouvernement français. Elle élève même ce triple jeu au rang de stratégie afin d’affaiblir tous les protagonistes et de rester seul maître des événements.

Rapidement, l’OAS-Métro change ses cibles. Elle abandonne partiellement ses attentats contre le pouvoir pour s’en prendre aux communistes. Le 8 février 1962, des organisations de gauche appellent à manifester à Paris contre les terroristes de l’OAS. Des policiers chargent les manifestants communistes au métro Charonne. On compte huit morts. Nul ne comprend plus très bien ce que font les gaullistes : ils traitent l’OAS comme une simple opposition politique interne et ne mobilisent de moyens militaires que contre le FLN. Une foule immense - cinq cent mille personnes selon les uns, un million selon les autres - participe aux obsèques des victimes.

Le 18 mars, la France signe à Évian un cessez-le-feu avec le FLN. L’armée française reçoit instruction de coopérer avec le FLN pour assurer l’indépendance en douceur. L’OAS réagit en tentant de prendre le contrôle des quartiers européens de Bab-el-Oued. Mais cette ultime insurrection est balayée par l’armée loyaliste pour qui le FLN est désormais un allié et l’OAS le seul ennemi. Les principaux dirigeants sont arrêtés ou en fuite. Le combat est perdu. Le 8 avril, les Français approuvent par référendum les accords d’Évian à 90 % des suffrages exprimés. Le 3 juillet, l’indépendance de l’Algérie est proclamée.

En contraignant Jacques Soustelle et Georges Bidault à l’exil, Charles de Gaulle se débarrasse de ses rivaux politiques. À Rome, ils prétendent constituer un Conseil national de la Résistance (CNR), rappelant par cette dénomination que De Gaulle n’avait pas sauvé seul la France, en 1944, et qu’ils eurent un rôle aussi important que le sien. Les ultimes attentats contre le général-président échouent. Les derniers activistes encore en liberté se cachent un peu partout en Europe. La France demande officiellement leur extradition. Mais, en secret, Charles de Gaulle envoie un commissaire principal des Renseignements généraux, Michel Baroin, leur proposer individuellement de rejoindre l’armée ou les services français. Après l’indépendance, il ne leur reste que deux motivations : la préservation de ce qui reste de l’Empire et la lutte contre le communisme. Ils seront au moins deux cent cinquante à bénéficier de "l’Opération Réconciliation".

Les pleins pouvoirs présidentiels

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La "fin du régime des partis" et le "rétablissement de l’autorité de l’État" sont des slogans essentiels de la propagande gaulliste. Ils permettent de faire admettre la fin du régime républicain tout en prétendant le garantir. En acceptant de prendre la présidence du Conseil (1er juin 1958), Charles de Gaulle avait exigé qu’on lui remette les pleins pouvoirs jusqu’à promulgation d’une nouvelle Constitution. Ceci fait (4 octobre 1958), les pleins pouvoirs furent automatiquement prorogés pour quatre mois afin d’assurer la continuité de l’État.

Pour faire face au putsch des généraux (21 avril 1961), le général-président s’arroge les pleins pouvoirs, en vertu de "l’article 16", pour une période de six mois (décret du 23 avril 1961), immédiatement reconduite pour six mois supplémentaires (décret du 29 septembre 1961). Peu avant la fin de cette seconde période, il fait approuver sa nouvelle politique algérienne et fait prolonger les pleins pouvoirs par référendum (8 avril 1962).

Une fois reconnue l’indépendance de l’Algérie (3 juillet 1962), il met lui-même fin à sa dictature et rétablit le fonctionnement normal des institutions comme il s’y était engagé. Mais c’est pour modifier immédiatement la Constitution en renforçant la fonction présidentielle. Par le référendum du 28 octobre 1962, il parachève son œuvre constitutionnelle. Il modifie le mode d’élection du président de la pseudo-République en le présentant au suffrage universel direct. Dès lors, le déséquilibre des institutions est maximal : le président est le chef suprême de l’exécutif, il dispose de la plus forte légitimité. Il nomme le gouvernement, qui confisque le pouvoir législatif puisqu’il peut initier des lois, imposer son ordre du jour aux Assemblées, et empêcher le débat parlementaire (art. 49-3). En cas de rébellion de l’Assemblée, le président peut prononcer sa dissolution. Les députés, qui ne peuvent plus que marcher au pas, se qualifient eux-mêmes de " godillots " du régime. Le président accapare aussi le pouvoir judiciaire car il préside le Conseil supérieur de la magistrature.
En quatre ans, Charles De Gaulle a exercé les pleins pouvoirs pendant vingt-deux mois. Finalement, il a fait adopter par une opinion publique anesthésiée un régime antirépublicain entièrement organisé autour du pouvoir personnel et dans lequel tous les contre-pouvoirs ont été neutralisés.

Conséquence de ce système, la vie politique s’ordonne prioritairement autour de la fidélité ou de l’hostilité à la personne du président. De Gaulle peut donc intégrer à son cabinet des personnalités de la Collaboration qu’il a jadis combattues, mais qui se sont tardivement ralliées à la Résistance. Ainsi, Maurice Couve de Murville, qui fut deux années durant le principal responsable de la Collaboration économique de l’État français avec le Reich nazi, devient ministre des Affaires étrangères.

De même, l’Opus Dei s’installe au ministère des Finances. Antoine Pinay, ancien membre du Conseil national de l’État français, en est membre. Wilfrid Baumgartner, ancien membre du Conseil de la Banque de France sous Philippe Pétain, en est coopérateur. Le banquier qui assure la trésorie de l’Œuvre en France, Edmond Giscard d’Estaing étant trop marqué par sa francisque, renonce à leur succéder et laisse la place à son fils Valéry.

(In)Dépendance nationale

Charles de Gaulle s’est d’autant plus efforcé d’apparaître comme le restaurateur de l’indépendance nationale qu’il devait son retour aux affaires à l’aide des États-Unis.

Accédant au pouvoir, en 1958, il constitue un cabinet noir sous contrôle américain. Il se fait assister à l’Élysée par Jacques Foccart, cofondateur des stay-behind en France, tandis que Michel Debré est assisté à Matignon par Constantin Melnik, un protégé du cardinal Tisserand qui a été formé aux États-Unis à la Rand Corporation.

À aucun moment Charles de Gaulle ne remet en cause les accords du Plan Marshall selonlesquelsles Américains doivent pouvoir accéder aux matières premières de l’Empire. Bien au contraire, c’est avec des sociétés à capitaux mixtes franco-américains qu’il exploitera le "domaine réservé", évinçant les sociétés des autres États occidentaux. Il place le pétrole et l’atome au centre de sa politique étrangère.
Il confie à Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l’Industrie, le soin de rassembler et de fusionner l’ensemble des sociétés et agences publiques du secteur pétrolier. Pour réaliser ces montages complexes, Jeanneney s’adjoint comme directeur de cabinet un habile technicien de l’économie, Raymond Barre. Grâce à leurs efforts, en 1962, le secteur est restructuré autour d’une puissante société, Elf. Pour la diriger, Pierre Guillaumat, fondateur historique de la Direction générale des services spéciaux et ami de longue date de la famille De Gaulle, abandonne son maroquin de ministre de la Défense. Elf devient à la fois la tirelire et le bras armé du " domaine réservé ". Les gêneurs sont éliminés, comme Enrico Mattei, le directeur de la société italienne rivale, Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), victime d’un faux accident d’avion, le 26 octobre 1962. Mais, dans le respect de ses protecteurs atlantistes, Elf renonce à se doter de services de recherche et d’auto-équipement suffisants. Pour exploiter le pétrole, la société française s’allie avec des sociétés de recherche et des équipementiers américains.

En ce qui concerne l’atome, De Gaulle hérite d’un programme nucléaire très avancé. Depuis 1954, le gouvernement américain transfère, secrètement et illégalement, ses secrets atomiques vers la France et Israël. Ce cadeau est à double tranchant. En effet, au cours de la guerre de Corée, les Américains ont pu vérifier qu’il leur était impossible d’utiliser la bombe atomique sans s’exposer à une riposte soviétique. Dès lors, la menace nucléaire ne dissuade que des agressions majeures mettant en cause la survie des USA, elle reste sans effet lors de conflits mineurs. Utiliser la bombe atomique alors que la survie des États-Unis n’est pas en jeu suppose donc qu’elle soit lancée par une puissance périphérique alliée de Washington, qui s’expose, à la place des Américains, à la riposte soviétique. De Gaulle choisit de médiatiser le programme nucléaire en cours et de le présenter à l’opinion publique comme l’acquisition d’une arme suprême qui ramène la France parmi les grandes puissances, à l’égalité avec les USA, l’URSS et le Royaume-Uni. Il cache le fait que la France n’est pas maîtresse de sa propre bombe et que les USA l’utilisent comme agent provocateur et appât. Washington donne la réplique à Paris avec d’autant plus de complaisance que le Congrès interdit la dissémination nucléaire et, donc, que le transfert de technologie en cours est illégal. De manière à ne pas être obligés de fournir la bombe à tous les autres membres de l’Alliance, Washington et Paris mettent en scène le retrait de la France de l’OTAN, en 1966, et retardent son retour jusqu’à la signature des Traités d’interdiction d’expérimentation, en 1995.

Le 2 juillet 1958, Eisenhower parvient à faire modifier par le Congrès la loi MacMahon. Les transferts de technologie nucléaire sont désormais autorisés, à titre complémentaire, aux Alliés ayant déjà réalisé des progrès substantiels en cette matière. Le 4 juillet, le secrétaire d’État, John Foster Dulles, se rend à Paris pour mettre au point, en tête à tête avec "le" général la suite de l’aventure nucléaire française et le futur désengagement de l’OTAN. En mai 1959, les États-Unis fournissent officiellement de l’uranium enrichi à la France pour expérimenter à terre un prototype de moteur sous-marin nucléaire. Et le 13 février 1960 a lieu la première explosion nucléaire française à Reggane.

Une garde prétorienne

En politique intérieure, le pouvoir personnel se dote de polices parallèles. Dès 1947, Charles de Gaulle, qui était philosophiquement opposé à l’existence des partis politiques, avait distingué sa propre formation, le Rassemblement du peuple français (RPF), de son "service d’ordre" (SO), auquel il avait donné une totale indépendance juridique. Le RPF était dirigé par Jacques Soustelle (ex-directeur des services secrets gaullistes à Alger, puis Londres), puis par le lieutenant-colonel Jacques Foccart. Il rassemblait des personnalités et investissait des candidats aux élections. Le "service d’ordre" était dirigé par Dominique Ponchardier, Roger Barberot et Jean-Baptiste Biaggi. Il recrutait des militants anticommunistes que l’expérience de la Résistance avait déculpabilisés face à d’éventuelles transgressions de la loi. De nombreux adhérents du "service d’ordre" n’étaient pas membres du RPF et préféraient militer dans des partis ou groupuscules d’extrême droite. Le SO continua à exister après la dissolution du RPF, en 1952, et la retraite de Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises. Il participa activement au "complot du 13 mai 1958". Jacques Foccart le réorganisa, en décembre 1959, sous l’appellation Service d’action civique (SAC). Il en confia la présidence à Pierre Debizet, garde du corps de De Gaulle et activiste du Parti patriote révolutionnaire de Me Jean-Baptiste Biaggi (favorable à la réconciliation des pétainistes et des gaullistes sur une ligne nationaliste et anticommuniste). Debizet démissionna quelques semaines plus tard, par solidarité avec les responsables de la Journée des barricades et Me Biaggi qui venait d’être arrêté. Néanmoins, toujours attaché à la personne du "général", il s’efforça de jouer les ponts entre les mouvements Algérie française et les gaullistes pour "protéger le vieux". Paul Comiti succéda à Debizet à la présidence du SAC.

Bien que l’on ait avancé des chiffres très supérieurs, le SAC comptait environ 5 000 hommes répartis dans tout le pays, à l’exception bien sûr des Territoires d’Outre-Mer qui étaient rattachés au "domaine réservé".
Les hommes du SAC furent utilisés en métropole pour " casser du gauchiste ", et dans le domaine réservé pour encadrer les forces militaires ou policières locales. Une partie d’entre eux furent intégrés parmi les stay-behind de l’Alliance atlantique.

En 1961, Roger Frey, devenu ministre de l’Intérieur, constitua un dispositif anti-OAS autour du cagoulard Alexandre Sanguinetti et du Mouvement pour la Communauté (MPC) de Jacques Dauer et Lucien Bitterlin. Avec l’aide de l’avocat Pierre Lemarchand, ils recrutent quelques éléments au sein du SAC, mais le SAC en tant que tel ne s’engagera jamais contre l’OAS. Une centaine de barbouzes sont employés à plastiquer les cafés et autres lieux de réunion des activistes algérois, parmi eux les mafieux Marcel Francisci et Dominique Venturi. Ils se livrent à une atroce guerre secrète contre les commandos Delta de l’OAS faite d’enlèvements, de torture, et de meurtres.
Au contraire, d’autres éléments du SAC tentent d’apaiser le jeu en retournant des dirigeants de l’OAS. Ainsi, le patron de bar Joseph Ortiz, exilé en Espagne, est recruté par le directeur des exportations des Pastis Ricard, Charles Pasqua, par ailleurs responsable national du SAC.

Si l’OAS était une opposition intérieure combattue par des forces secrètes, le FLN était un adversaire étranger impitoyablement réprimé par les forces officielles. La durée de la garde à vue est étendue à quinze jours, sans visite d’avocat ou de médecin. Une décision qui équivaut à autoriser et à généraliser la torture dans les commissariats de police. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, dirige une ratonnade faisant plusieurs centaines de morts le 17 octobre 1961. Soumise à la censure quand elle n’est pas à la botte du pouvoir, la presse n’en dit mot.

Le régime ne recule pas non plus devant les manipulations politiques. Ainsi, apparaît au début de l’année 1959 un groupe d’officier et de technocrates, Patrie et Progrès. Il revendique des idées nationalistes et sociales, et rabat vers les gaullistes ceux qui pourraient être tentés par une aventure pleinement fasciste. Il est animé par Philippe Rossillon et soutenu par Louis Pauwels et Michel Massenet. Parmi les jeunes gens qui le fréquentent, on relève Jean-Pierre Chevènement et Alain Gomez. En réalité, Patrie et Progrès est une officine du colonel Roger Barberot.

Des méthodes expéditives

Les "événements d’Algérie" justifient le recours à la terreur. Le général-président use et abuse des pouvoirs exceptionnels qui sont les siens et de la complicité internationale des stay-behind. Il soumet tous les livres et journaux à la censure. Transformant la France en un État terroriste, il fait assassiner les opposants politiques réfugiés à l’étranger. Les meurtres sont signés par une organisation fantoche, La Main rouge, qui masque mal les services secrets français. Constantin Melnik, revendiquera ultérieurement plus d’un millier d’assassinats politiques. Ainsi, l’élimination du marchand d’armes allemand Georg Puchert, assassiné à Francfort, le 3 mars 1959 ; celle de son collègue suisse Marcel Léopold, empoisonné à Genève, le 19 septembre 1959. Ou encore l’explosion du cargo Atlas, en plein port de Hambourg ; et l’arraisonnement en Méditerranée du cargo tchèque Lidice.

Pour empêcher les marxistes du FLN de s’approvisionner en armes, la CIA met en place un accord entre les services secrets extérieurs (SDECE) et le "parrain des parrains" italo-américain, Lucky Luciano. Ce dernier a commencé à collaborer avec l’OSS américaine pendant la Seconde Guerre mondiale pour préparer le débarquement en Sicile. Il a ensuite été intégré aux réseaux stay-behind. Les hommes de Cosa Nostra indiquent les bateaux transportant des armes en Méditerranée afin qu’ils soient arraisonnés. En échange, la France ferme les yeux sur des opérations de contrebande et des trafics de stupéfiants. Le contact du SDECE auprès de Luciano est un criminel et collaborateur français, Étienne Léandri, que le stay-behind a repêché à la Libération.

La CIA autorise également certains stay-behind européens à collaborer avec leurs homologues français. Ainsi, le plus haut magistrat suisse, le procureur général de la Confédération René Dubois est mis à contribution pour transmettre des notes de la police suisse et des relevés d’écoutes téléphoniques. Découvert par un policier suisse, René Dubois se suicide le 23 mars 1957 plutôt que de livrer des informations sur le réseau secret de l’Alliance atlantique.

Le général De Gaulle ne se contente pas d’utiliser des méthodes expéditives en Algérie. Il les emploie partout dès lors qu’il s’agit de son "domaine réservé" et que l’équilibre Est-Ouest en fournit une justification.
Pour punir la Guinée, le général-président lui fait couper les vivres dès le jour de son indépendance. En se retirant, les fonctionnaires français reçoivent l’ordre de détruire toutes les archives de leur administration. Lorsque la Guinée se retire de la zone CFA et crée sa propre monnaie, De Gaulle tente de la ruiner. Le colonel Beaumont imprime de la fausse monnaie guinéenne à Paris. Elle est acheminée au Sénégal, d’où le commandant Maurice Robert en inonde la Guinée. Lorsque Sékou Touré cherche de l’aide à l’étranger et se tourne vers l’URSS et la Tchécoslovaquie, il est dénoncé comme l’incarnation du péril communiste en Afrique. Jacques Foccart tente plusieurs fois de le faire éliminer. Les projets d’attentats sont supervisés de Côte-d’Ivoire par Yves Guéna, qui vient de quitter le cabinet de Michel Debré pour devenir Haut-Commissaire à Abidjan.

En ce qui concerne le Cameroun, l’administration coloniale y a fait face à l’opposition de l’Union populaire du Cameroun (UPC) à majorité Bamikélé. Le haut-commissaire Pierre Messmer a confié la répression à Maurice Delauney. Les principaux leaders de l’UPC ont été assassinés et des expéditions punitives ont été conduites dans leurs bases arrière situées en Cameroun britanniques. À l’indépendance, le 1er janvier 1960, Jacques Foccart installe un gouvernement fantoche, présidé par son ami Ahmadou Ahidjo. Le jour même, le jeune État signe un accord d’assistance militaire avec la France. Paris dépêche cinq bataillons, commandés par le général Max Briand. Ce que Charles de Gaulle n’a pas osé faire dans le cadre de la Communauté, il le fait sous couvert d’une pseudo-indépendance. Cent cinquante-six villages bamikélés sont incendiés et rasés. Des dizaines de milliers de personnes sont massacrées. De cette terrible répression, la presse française, muselée et aveuglée par la crise algérienne, ne dira mot. Finalement, le nouveau leader de l’UPC, Felix Moumié, est assassiné à Genève par les tueurs du SDECE, le 2 octobre 1960.

En 1960, la France, excipant d’un accord de 1883, revendique le Congo-Kinshasa (Zaïre) lorsque les Belges s’en retirent. À défaut de l’annexer, elle soutient la rébellion de Moïse Tschombé dans la région minière du Katanga au grand dam de l’ONU. Des armes sont acheminées par la société Barracuda de Dominique Ponchardier. Sur place, les troupes rebelles sont encadrées par le colonel Roger Trinquier et le commandant Roger Faulques. Irving Brown se déplace au Congo pour coordonner les opérations franco-américaines. Utilisant ses réseaux français et belges, la CIA confie au stay-behind Otto Skorzeny la planification de l’assassinat du Premier ministre du gouvernement légal, Patrice Lumumba, et favorise la montée en puissance du colonel Joseph Mobutu. Soutenant toujours plus avant Moïse Tschombé, Jacques Foccart envoie des mercenaires encadrés par le Français Bob Denard, un homme de main impliqué dans une tentative d’élimination de Pierre Mendès-France, et le Belge Christian Tavernier. Pour les besoins de la propagande, Foccart met en place une Radio-Katanga, animée par François Duprat.

Au Congo-Brazzaville, Charles de Gaulle soutient envers et contre tous l’abbé Fulbert Youlou. Ce dernier est conseillé par Jean Mauricheau-Baupré, l’ancien rédacteur en chef du Courrier de la Colère.
Pour gérer le " domaine réservé ", le général-président accorde tous les moyens nécessaires à Jacques Foccart. Le conseiller de l’ombre dispose d’un bureau jouxtant celui du président de la pseudo-République à l’Élysée. En outre, il dispose d’une sorte de ministère, installé à l’hôtel de Noirmoutiers, rue de Grenelle. Mais Foccart ne revendique que le titre de secrétaire général de la Communauté et non pas celui de ministre, de manière à ne pas avoir à répondre de ses activités devant les parlementaires.

Il rappelle Maurice Robert, en poste au Sénégal, à Paris et lui confie le traitement des dirigeants africains lors de leurs passages à Paris. À cette fin est créée la " base Bison ", aux Invalides, qui entretient des liens très étroits avec les stay-behind américains.

* * *
Charles de Gaulle s’est emparé du pouvoir, en mai 1958, en s’appuyant sur une conjonction d’intérêts : les impérialistes français qui comptaient sur lui pour maintenir l’Algérie française, et les impérialistes américains qui voulaient éviter à tout prix l’influence soviétique sur une Algérie indépendante. Pour remplir ces objectifs - qu’il n’a pas tenus -, il a d’abord "rétabli l’autorité de l’État", c’est-à-dire substitué un pouvoir personnel au régime républicain. Puis, il a fait usage de la force en métropole et surtout dans l’ex-Empire. À tout moment, il a su tirer le meilleur profit de son inféodation aux services américains, les servant en prétendant les combattre, faisant de la France "le plus fidèle et le plus turbulent allié des États-Unis". Il a exigé des Français qu’ils acceptent des restrictions des libertés démocratiques pour disposer d’un État fort capable de garantir l’indépendance nationale et le rayonnement du pays à l’extérieur. Mais peut-on être indépendant sans être libre ?

Thierry Meyssan

Source
http://www.voltairenet.org/Quand-le-stay-behind-voulait

A la suite de cet article se trouve une documentation qui avère les faits expliqués ci-dessus.

Bien Amicalement.
Silver Wisdom
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